« Moi, Monsieur ! » Cela fait une décennie qu’il attend ce moment, il y est : Ousmane Sonko vient de recevoir de la majorité des électeurs les pleins pouvoirs. Je vais plagier de mauvaise grâce le nouveau politicien devenu taiseux, Madiambal Diagne, qui, après l’élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence de la République, compare les nouveaux tenants du pouvoir à ces élèves qui demandent bruyamment au maître à aller au tableau, histoire de démontrer qu’ils sont les premiers de la classe, ont appris leurs leçons et fait leurs devoirs.
Là, avec une majorité parlementaire, c’est l’heure d’y aller. Le tableau noir et la craie attendent le PMOS, ainsi que des millions de Sénégalais qui boivent ses paroles et croient en ses prophéties depuis une décennie…
Les clameurs se sont tues au soir du 17 novembre 2024 et c’est un silence de cathédrale qui leur succède sur la scène politique. A peine si l’on remarque l’indignation de Bougane Guèye Dany qui appelle l’opinion nationale et internationale à se dresser contre ce qu’il considère comme une dictature rampante.
C’est vrai que ces derniers jours, il fait sale temps pour les déclarations fracassantes : la police distribue des convocations à la mitraille, tandis que le procureur de la République a l’inculpation prompte et le mandat de dépôt leste. Moustapha Diakhaté, Adama Gaye, « l’Ambassadeur » Cheikh Thiam, entre autres cibles notables aux fortunes diverses, constituent une sacrée fournée… Ils sont moins chanceux que la tête de liste de la coalition WhatsApp que la justice française absout de prétendus crimes contre l’humanité.
Quant à Samuel Sarr, que la gendarmerie alpague à sa descente d’avion et dont l’arrestation fait les choux gras de la presse, c’est une tout autre histoire : « l’Éternel Wadiste » est en guerre ouverte contre ses associés de la West African Energy qu’il traîne à son tour en justice. Bref, le sang n’a pas fini de gicler sur leurs murs…
On croirait presque que le gourou de PASTEF, qui marche actuellement sur du velours, a le triomphe modeste. Comme il précise durant la campagne, il ne faudrait pas que ses adversaires pensent qu’il les snobe avec son pas cadencé, il a juste les jambes arquées… Le superhéros des législatives anticipées du 17 novembre 2024 pousse l’humilité jusqu’à avouer que ses déclarations intempestives sur les chiffres de l’économie sénégalaise créent une sorte de méfiance des bailleurs de fonds.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire ?
Si l’heure est à l’introspection du côté des vaincus qui ne s’expliquent pas comment le rouleau compresseur PASTEF vient de les ratatiner, il est sûr qu’autour d’Ousmane Sonko, les manœuvres de couloirs ne font que commencer et tout le monde retient son souffle : il y a tant de fromages, pardon, de beignets de mil, à redistribuer… Depuis le Perchoir jusqu’aux postes de direction nationale, en passant par les maroquins du prochain gouvernement, il y a moult sinécures à attribuer : elles ne tomberont pas du ciel sans un p’tit coup de pouce du destin.
En un mot comme en cent, la saison des alchimistes du hasard, conteurs de boniments et apothicaires de la chance, qui ouvre ses portes lors des préparatifs de la présidentielle de mars 2024, n’est pas près de clôturer…
A l’heure où vous lisez ces impertinentes lignes, les salles d’attente des sorciers à la petite semaine doivent refuser du monde, alors que le marché de la cola striée et des poules rouges connaît une sévère pénurie. J’imagine d’ici la flambée du prix des retraites mystiques, des rêves prémonitoires sur commandes, des décoctions magiques, des ceintures cabalistiques, des bagues mystérieuses et des bracelets protecteurs…
Il n’y a pas que les futurs impétrants qui s’agitent pour bousculer la chance : dans leurs jardins privés, ça s’affole… Dans la demeure des pères et des mères exemplaires qui croient ferme que leurs prières propulsent leurs progénitures vers les sommets, les commandes de tapis de prière, d’eau bénite à La Mecque et de chapelets s’additionnent aux offrandes aussi païennes que pieuses. Aucun sacrifice ne sera de trop et cent précautions en valent mieux que dix…
Il y a aussi tous les proches qui donnent de leur personne pour que le Projet, toujours en phase de rédaction, voie le jour. Et puis ce miraculeux regain d’optimisme chez la « clandestine », comprenez la maîtresse qui a du nez et prend sur elle de consoler son éternel looser préféré, qu’elle n’ose pas même présenter à ses parents tellement son dénuement se voit à l’œil nu. Ah, l’amour !
C’est aussi le temps des regrets dans le ghetto des situationnistes : toutes celles et tous ceux qui regardent jusque-là de haut et ferment leurs portes et fenêtres à cette faune qui ne réussit rien, que la police traque et auxquels les vénérables journalistes ne daignent pas consacrer dix lignes d’un article sophistiqué. S’ils avaient su…
Du côté des vaincus, anciens nouveaux riches, leurs récentes épouses, qui ont juste le temps d’emménager dans une villa de luxe d’un quartier chic, devront refaire leurs paquets et retourner dans les studios de neuf mètres carrés d’où elles viennent… Non seulement elles risquent de se faire répudier incessamment mais, en plus, ces braves dames ont mauvaise presse : officiellement, elles portent la poisse. Ceci dit, officieusement, elles sont surtout victimes des coupes dans les budgets des ménages.
Pour dire les choses sans gants, les parvenus de la vingt-cinquième heure, qui ont juste le temps d’emménager avec une maîtresse présentable dans un quartier chic, n’ont pas même le temps de défaire les paquets. Il leur faut déjà les remballer pour renvoyer leur danseuse dans le ghetto et reconquérir le cœur de la génitrice des grands enfants, lesquels assurent la pitance au nom du respect dû à leur mère.
Quand ce n’est plus l’État qui assure la popote de la smala, le chef de famille devient brusquement d’une raisonnable austérité…
Et dire qu’on s’apitoie seulement sur le sort du consommateur fauché, qui voit tous les prix augmenter depuis le brusque embonpoint du Woyofal, jusqu’au scandale intolérable du coût de l’œuf bouilli après vingt-deux heures, lequel tarif de nuit crève les plafonds à cent-cinquante francs pièce selon le plus sérieux prétendant au statut de patron de l’opposition, Bougane Guèye Dany. Les grandes douleurs étant muettes, nous éviterons de ressasser les sauts de grenouille du prix de la paille d’arachide qui affole le marché des transports.
À vrai dire, l’inflation n’a pas fini de galoper vers les sommets. Que font donc le FMI et la Banque mondiale ?
Pour ne rien arranger, des étudiants mettent leur monde en ébullition. Apparemment, le menu recherché de la cantine, dont le riz parsemé de morceaux de foie, qui contribue à activer leurs neurones, aurait plutôt le don leur donner des idées noires… Et donc, puisque nous sommes en démocratie, à l’université de Ziguinchor, le « gatsa-gatsa » est en marche, histoire de signifier son mécontentement aux pouvoirs.
Un mouvement de mauvaise humeur que la flicaille tente de contenir à grands coups de lacrymogènes et matraques… Le Sénégal reste ce qu’il est depuis toujours ?
Avant-hier, le monde entier célébrait la journée contre les violences faites aux femmes, aux rangs desquelles figure le viol… En France, par un curieux hasard, l’avocat Juan Branco vient d’écoper d’une suspension pour « violation du secret de l’instruction » dans une affaire d’accusation de viol, pour laquelle il aurait publié moult tweets. L’affaire n’a pas fini de procurer des sensations fortes à ses protagonistes : l’avocat fait appel et l’ordre des avocats ne lâche pas l’affaire. Pourquoi diable ses confrères sénégalais avec lesquels il partage la défense du « Projet Sénégal 2050 » qu’illustre un solide baobab, n’ont-ils pas assuré sa défense ?
Au pays de la Téranga, cette journée contre les violences faites aux femmes est d’une telle insignifiance : ce n’est pas le moment d’invoquer les sujets qui fâchent ?