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L’urgence de lutter contre la corruption au Sénégal Par Moussa SYLLA

La publication du Rapport de la Cour des comptes du Sénégal sur l’utilisation des fonds destinés à la lutte contre le Covid, a créé une grande controverse et suscité une vague d’indignations au Sénégal. Entre présumés détournements de fonds, surfacturations et non-respect des procédures d’octroi de marchés publics, ce rapport prouve qu’une lutte (plus) ferme contre la corruption s’impose dans notre pays. A cela, s’ajoute le drame qui s’est produit dans notre pays, le dimanche 8 janvier, qui montre comment la corruption contribue à des désastres meurtriers. Combien de voitures circulent au Sénégal, alors qu’elles ne devraient pas ? Elles ne passent jamais la visite technique, mais ne sont pas envoyées en fourrière. Même si elles ont passé la visite technique, l’on se demande comment elles ont fait pour la réussir. A cause de tout cela, le gouvernement a intérêt à lutter contre la corruption. Cela requiert plus que des mots, mais des actes comme le vote d’une loi anticorruption et son application. A défaut, cette situation de grande corruption et totale impunité perdurera au Sénégal. Cela entraînera qu’à chaque publication d’un rapport d’un organe de contrôle ou à chaque drame, il y aura une vague d’indignations qui ne sera suivie d’aucune action concrète pour que l’utilisation frauduleuse des deniers publics cesse ou le manque de rigueur dû à la corruption disparaisse. La corruption est également l’un des principaux vecteurs du blanchiment de capitaux. L’argent issu de la corruption ne peut être utilisé directement dans le circuit économique ; il doit être blanchi. Aussi, les pays connaissant une forte corruption sont-ils classés comme étant à risque élevé en matière de blanchiment de capitaux. Par conséquent, la lutte contre la corruption améliorera l’efficacité du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme du Sénégal, d’autant plus que son Evaluation nationale des risques (Enr) a identifié la corruption comme étant l’une des principales infractions sous-jacentes du blanchiment de capitaux. Le Sénégal fait aujourd’hui partie de la liste des pays présentant des lacunes dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, selon le Groupe d’action financière (Gafi), l’organisme intergouvernemental chargé de lutter contre ces deux fléaux dans le monde. Pour la correction de ces lacunes, il doit mieux lutter contre la corruption. Les dispositions du Code pénal du Sénégal relatives à la lutte contre la corruption sont désuètes et insuffisantes (une dizaine d’articles) : elles ont besoin d’être mises à jour et adaptées au contexte actuel. La norme aujourd’hui, pour tout pays qui veut lutter sérieusement contre la corruption, est de voter une loi anticorruption et l’appliquer rigoureusement.

Cette loi devrait contenir les dispositions suivantes1, conformément au Protocole de la Cedeao sur la lutte contre la corruption :

– L’interdiction ou le strict encadrement des cadeaux offerts aux agents de l’Etat, pour éviter tout favoritisme ; – La proscription des recrutements de complaisance comme embaucher un membre de la famille d’un agent de l’Etat afin qu’il prenne une décision en faveur d’une entreprise, et par ricochet, le recrutement des agents de l’Etat au mérite ; – La prohibition des conflits d’intérêts comme octroyer un marché public à un proche ou une entreprise où la personne responsable de l’appel d’offres détient des intérêts. Cela revient à appliquer strictement le Code des marchés publics du Sénégal, notamment son article 40 qui dispose : «Toute personne qui a personnellement ou par l’intermédiaire de son conjoint ou de ses ascendants ou descendants, un intérêt direct ou indirect, notamment en tant que dirigeant, associé ou employé, dans une entreprise candidate à un marché examiné par la commission à laquelle elle appartient, doit en faire la déclaration, se retirer de la commission et s’abstenir de participer à toutes les opérations d’attribution du marché considéré.» Des sanctions doivent être prévues par la future loi anticorruption en cas de non-respect de cette disposition du Code des marchés publics ; – L’obligation pour les entreprises nationales, publiques et privées, de mettre en place un dispositif anti-corruption ; – La protection des lanceurs d’alerte qui signalent de bonne foi des actes de corruption. La première étape est le vote d’une loi anticorruption, mais le plus important est son application. Une loi anticorruption à but cosmétique est le meilleur moyen pour un Etat de montrer que la lutte contre la corruption ne l’intéresse pas. Pour qu’elle soit appliquée, il faut nécessairement le soutien du sommet de l’Etat, ce que les Anglo-saxons appellent le «tone from the top». Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? L’Etat doit montrer que la lutte contre la corruption est importante pour lui, en étant impartial dans l’application de la loi. En d’autres termes, toutes les personnes présumées coupables de faits de corruption doivent être poursuivies et jugées. En cas de culpabilité, les sanctions prévues doivent leur être appliquées équitablement. Si l’Etat procède ainsi, se créera dans notre pays une prise de conscience qu’il y a une tolérance zéro dans la lutte contre la corruption. Cela entraînera également le développement d’une culture anticorruption au Sénégal, comme dans les pays scandinaves. Le Royaume-Uni a voté une loi, «The Unexplained Wealth Order». Elle permet aux autorités judiciaires du Royaume-Uni de confisquer les fonds injustifiés d’une personne, en d’autres termes, une richesse inexpliquée que ne permet son niveau de revenu connu. Le Sénégal pourrait mettre en place une telle législation, d’autant plus que la plupart de ses personnes politiquement exposées doivent procéder à une déclaration de patrimoine, conformément aux dispositions de la loi n°2014-17 du 2 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine. Si quelque temps après leur nomination ou leur élection, leur patrimoine dépasse largement celui lors de leur déclaration de patrimoine, et en cas de non-clarification, ces fonds doivent être confisqués et réinjectés dans les caisses étatiques. Cela revient à renforcer les dispositions de l’article 163 bis du Code pénal sur la répression de l’enrichissement illicite. La corruption est un fléau qui entraîne des conséquences négatives, comme une instabilité politique, un Etat incapable d’offrir des services de qualité à ses citoyens ou de les protéger, la frustration des citoyens lésés, une mauvaise réputation à l’international et, par conséquent, la diminution des investissements étrangers. L’indignation des citoyens sénégalais, à la suite de la publication du Rapport de la Cour des comptes, montre que cette situation d’impunité ne peut plus perdurer.

Après cela, qui voudra s’acquitter honnêtement de ses impôts ?

La lutte contre la corruption n’est pas un combat perdu d’avance ; le Sénégal peut le gagner s’il fait preuve d’une volonté de combattre la corruption. Dans un précédent article2, je citais les exemples de Singapour et Hong-kong, et montrais comment ils sont parvenus à éradiquer la corruption : «Le livre de Klitgaard, Combattre la corruption, montre comment Hong-Kong et Singapour sont parvenus à diminuer très grandement la portée de la corruption. Des agences anticorruption ont été créées, dotées d’une indépendance claire : l’Inde­pendant commission against corruption (Icac) à Hong-Kong et le Corrupt practises investigation bureau (Cpib) à Singapour. Elles étaient dirigées par des personnes reconnues pour leur probité. Aussi bénéficiaient-elles d’un fort soutien de leur Etat, qui leur a donné tous les moyens nécessaires pour lutter contre la corruption. Ces deux exemples montrent que la corruption ne constitue pas une fatalité, qu’elle peut être efficacement combattue. Cela requiert plus que des mots, mais surtout des actions fortes.» Le Sénégal doit suivre leurs exemples. En faisant cela, il augmentera ses revenus et les dépensera plus efficacement. Cela lui permettra également de lutter plus efficacement contre le blanchiment de capitaux et de mieux protéger les Sénégalaises et Sénégalais. Il en va du civisme de sa population et de sa réputation à l’international. Les actions énumérées plus haut doivent être entamées dès à présent, car ce combat est une urgence aujourd’hui. Cela montrera le sérieux du Sénégal et sa volonté de figurer parmi les pays exemplaires du monde, où ses citoyens respectent l’Etat parce que les gouvernants font preuve d’éthique et de probité. P.S. Le dimanche 8 janvier 2023, s’est produit l’accident routier le plus meurtrier de l’histoire du Sénégal. Je présente mes condoléances à toute la Nation sénégalaise, particulièrement les familles éplorées, et prie pour le repos de l’âme des disparus. Cet accident pose encore plus la question de la lutte contre la corruption dans notre pays. Elle est plus que jamais une urgence nationale. 1 Voir l’article écrit par l’auteur sur la plateforme LinkedIn : https://www.linkedin.com/feed/update/urn : li : activity : 6848964066245931008/ 2 https://lequotidien.sn/la-corruption-doit-etre-fermement-combattue-au-senegal/