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Candidature, mandat de Macky Sall- déclaration de politique générale et motion de censure : L’analyse «constitutionnaliste» du juriste Mounirou Sy

https://www.dakaractu.com Docteur en droit, l’enseignant-chercheur Mounirou Sy a livré son point de vue sur la question liée à la candidature ou au mandat (selon certains…) du président Macky Sall. Toutefois, le maître de conférence de l’Université de Thiès ne s’est pas arrêté à donner un avis constitutionnel sur le mandat. Il a aussi suivi l’actualité à l’Assemblée nationale et a tenu, dans cet entretien avec Dakaractu, à se prononcer sur la déclaration de politique générale ainsi que sur la motion de censure formulée par les députés de Yewwi Askan Wi.

Dakaractu – Bonjour professeur. Le Premier Ministre vient de livrer sa déclaration de politique générale suivie d’une motion de censure qui n’est pas passée. Quelles sont vos impressions sur ce cas d’espèce en votre qualité de constitutionnaliste ?

Ma première impression porte sur la bonne santé de la démocratie et de l’État de droit au Sénégal. Cet exercice du PM était une exigence, une obligation constitutionnelle. L’ayant remplie, il a respecté scrupuleusement la Constitution et spécifiquement son article 55. L’Assemblée nationale aussi, dans sa composition entière, mérite une reconnaissance pour l’animation et la richesse des débats des heures durant. Cela prouve que la séparation des pouvoirs est une réalité au Sénégal et que pour la bonne marche des affaires publiques, ils doivent collaborer en allant de concert, pour parler comme son théoricien.

Dakaractu – Mais, il y a eu des tiraillements entre les députés de la majorité et ceux de l’opposition. Le Président de l’Assemblée était souvent obligé de les rappeler à l’ordre. On voit que c’est très courant dans l’hémicycle.

Ce genre d’échanges est le propre des parlementaires. Le Sénégal, loin s’en faut, n’est pas une exception. Toutefois, les députés doivent mieux se comporter en donnant le bon exemple tant par la parole que par le comportement. Il est très déshonorant pour des « honorables » de glapir ou de clapir à gauche lorsque d’autres croassent ou coassent à droite. C’est très agaçant surtout dans un haut lieu de décision et de discussion comme l’Assemblée nationale qui ne doit abriter que des êtres de raison et de discernement. Normalement !

Dakaractu -La preuve, l’opposition, ayant senti le refus du Premier Ministre de provoquer le vote de confiance, a déposé une motion de censure pour faire sauter le Gouvernement. Cela vous inspire quoi ?

Ici, la règle de la prudence s’impose. On est en face de deux mécanismes constitutionnels qui se transforment en droits mutuels, l’un pour le PM et l’autre pour l’Assemblée nationale. Le vote de confiance, en vertu du droit positif sénégalais, n’est pas une obligation mais une faculté pour le Premier Ministre. La seule obligation qui existe est de procéder à la déclaration de politique générale. Pour le vote de confiance, le texte est clair et ne parle que de possibilité. Ainsi, dit-il  : « cette déclaration est suivie d’un débat qui peut, à la demande du Premier Ministre, donner lieu à un vote de confiance ». Donc, si le PM juge inopportun de susciter cela, il est dans son droit le plus absolu et en conformité avec le droit. C’est pourquoi, je plaide pour l’urgence d’un atelier de capacité des élus pour la maîtrise des règles et procédures du droit parlementaire. Toutefois, la motion de censure peut bel et bien être déposée par les députés en respectant naturellement les conditions posées par les règles applicables. Le droit confère cette prérogative au dixième des députés pour son dépôt. En l’espèce, tout le monde savait que c’était juste du bluff. Pour un coup d’essai, il était difficile de le transformer en set en raison de la majorité requise que l’opposition n’avait pas.

Dakaractu -Et si on parlait des affaires pendantes devant le juge. Adja Sarr et Ousmane Sonko ?

J’ai toujours déploré le fait de poser sur la place publique une affaire a priori totalement privée voire intime. Il est temps que cette affaire soit derrière nous pour qu’on puisse passer à autre chose. Pour moi, les urgences sont ailleurs et c’est dommage que deux ans durant, en public comme en privé, ce sujet emballe tout le monde et nous bouffe. Mais, vu les proportions et les propos avancés ça-et-là comme les enregistrements et messages sauvegardés, en plus des personnalités citées dedans, il est nécessaire et salutaire pour tous, Adji Sarr comme Ousmane Sonko, et surtout utile pour le Sénégal, que la justice aille jusqu’au bout et très vite. N’oublions pas que quatorze personnes ont perdu la vie sans oublier l’image écornée de certaines personnes. La lanterne judiciaire dans cette affaire permettra de ranger au musée des antiquités les conjectures les plus loufoques chargées de contours partisans, de tours maléfiques et de détours mafieux.

DakarActu – La Cour des comptes et le fonds covid-19 ? Beaucoup ont été épinglés non ?

Cela conforte mon premier propos. Le Sénégal reste un État de droit avec une justice indépendante et impartiale qui fonctionne et désigne les coupables quel que soit leur statut, fonction, rang ou posture. Depuis 2012, le Président de la République a prôné une gestion étatique sobre et vertueuse. La Cour des comptes semble épouser cette dynamique. Et là, je vais forcer le trait. Il ne s’agit pas de s’arrêter aux seuls DAGE. Ce serait trop facile et discriminatoire. Il faudra remonter tout le processus décisionnel et gestionnaire. Toute personne impliquée dans des actes frauduleux, de corruption et de mauvaise gestion devra être vigoureusement et rigoureusement sanctionnée. Il s’agit du fonds Covid avec tout ce qu’il représente comme gage de solidarité sociale, de sacrifice national et d’implication personnelle et collective. Sur ce registre, je ne demande aucune indulgence de la part des organes compétents. Il faut que la loi s’applique dans sa plus grande et juste rigueur. Comme dans le cas précédent, il y va de l’honneur et de l’image de ceux qui ont géré toute cette manne financière. Toutefois, je rappelle l’adage indien  : « qui gère bien étale ses comptes en plein zénith ».

Dakaractu – Devant le perchoir, le député Farba Ngom a révélé, sans ambages, avoir donné de l’argent à Madame Aminata Touré qui se présente comme blanche neige, incorruptible et sérieuse. Quel est votre sentiment sur cette accusation ?

Un effarement. Venant de Farba Ngom, je pourrais le prendre comme amusement et babiole si l’accusation était portée sur une autre personne. Mais sur Mimi Touré je dirais non. Même s’il s’agit d’argent d’origine privée. Par contre, s’il s’agit de deniers publics, ce serait la catastrophe. Au sommet de l’État, des pratiques du genre ne sauraient être tolérées. Mais, j’ai tiré une autre leçon des propos de Farba  : la responsabilité de ceux qui dirigent. Actuellement, le débat public se résume à balance et délation, invectives et sévices, cafardage et broutille. C’est navrant et décevant. Or, la République repose sur la confiance dans nos institutions et sur le sérieux de celles et ceux qui les animent. Cependant, ce que je vois et vis à l’Assemblée nationale est décevant. Le Sénégal mérite plus et mieux. Dès lors, connaissant Mimi Touré, elle ne va pas tarder à réagir. On peut même subodorer qu’elle serait prête à ester en justice. La suite nous dira.

Dakaractu – Depuis quelques mois, les Sénégalais vous attendent sur la question du mandat. Dites-nous clairement si le Président Macky Sall a droit ou non à un autre mandat en 2024 ?

(Rires). Elle est bonne celle-là. Je m’y attendais d’ailleurs. Là aussi, beaucoup de propos fallacieux et de conjectures. On entend tout et son contraire. Je pense que la question est mal posée. Parler de mandat consiste à interroger le Peuple souverain, seul détenteur du pouvoir apte à donner un mandat ou non. Il faut déplacer le problème en amont et parler de candidature. Autrement dit, il faut se demander si le Président sortant, en vertu de l’article 27 nouveau, issu du référendum de 2016, peut-il se présenter en 2024 ? Cette question, très sibylline, exige une exégèse profonde en vertu de l’histoire, de l’esprit, de la rédaction de l’article lui-même et de la décision du Conseil constitutionnel sur le projet de référendum. De toute façon, le premier alinéa ne pose aucun problème d’interprétation. Tout réside dans « nul ne peut exercer plus de deux mandats successifs ». Pour certains, il s’agit du mandat de cinq ans énoncé dans l’article précédent ; pour d’autres, il s’agit de deux mandats présidentiels.

Dakaractu – Pour vous, qu’on présente comme un esprit libre, indépendant et engagé, c’est quoi ?

Il faut d’abord savoir que les révisions de 2001 et 2008 sont différentes de celles de 2016 tant dans leur nature que dans leur portée. Là, on visait l’aspect matériel à savoir le mandat, le caractère renouvelable et sa durée ; ici, il s’agit de l’aspect organique portant sur celui qui exerce le mandat. Dès lors, on peut se poser une question  : le caractère successif s’applique à quel mandat ? Ma réponse liminaire est que « successif » ne veut pas dire « gémellaire ». J’entends aussi beaucoup de spécialistes invoquer la décision du Conseil constitutionnel excluant du champ d’application le mandat de 7 ans. Là aussi, il faut y aller avec diligence puisqu’il ne répondait pas sur le nombre mais sur la possibilité ou non de réduire la durée du mandat de 7 à 5 ans que voulait le Président de la République. Ma réponse personnelle en tant que constitutionnaliste et « esprit libre, indépendant et engagé », sera exprimée ultérieurement mais très prochainement et avec beaucoup plus de technicité et de simplicité sur la base du droit et uniquement du droit. Il est de mon humble avis, qu’à un an de l’élection présidentielle, la coalition au pouvoir a intérêt à se prononcer librement et objectivement sur son futur candidat. Il y va de la stabilité et de la sincérité du jeu politique et aussi de ses chances à rencontrer les populations afin qu’elles s’approprient son programme pour le prochain quinquennat. Toutefois, le Président de la République est dans son droit de gérer son timing. C’est un organe de choix  : il est choisi pour choisir. Il choisit discrétionnairement ses collaborateurs et ses moments d’expression sur tel ou tel sujet. En résumé, la validité d’une candidature est du ressort exclusif du Conseil constitutionnel. Le mandat est octroyé souverainement par le peuple. Tout le reste relève de la politique, de la morale et de l’intérêt du moment des uns et des autres. Mais, ce qui importe, c’est l’intérêt supérieur de la Nation. Le seul qui vaille !