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FINTECH : Accélérateur d’inclusion financière et défi pour le régulateur

https://www.lejecos.com Au Sénégal, sur 12 millions d’abonnés mobiles des trois opérateurs, seuls 800 000 d’entre eux ont un compte bancaire. C’est cet immense potentiel qui s’offre aux fintechs et aux Établissements de monnaie électronique (Eme). Mais, si ces technologies financières jouent un rôle décisif en matière d’inclusion financière, elles posent de redoutables défis au régulateur. Les technologies financières novatrices, souvent appelées fintechs, font des percées majeures dans le monde entier. Dans le secteur bancaire notamment, les fintechs bouleversent les services financiers de base et poussent les banques à innover pour ne pas se laisser distancer. Pour les consommateurs, elles ouvrent des  possibilités d’accès plus large et à une meilleure qualité de service. Le continent africain, caractérisé par une population jeune et très ouverte aux nouvelles technologies, notamment la téléphonie mobile, est particulièrement propice au développement des fintechs. Un terreau fertile que les start-ups ont investi massivement ces dernières années. Une étude de MicroSave Consulting (Msc), publiée en mars 2021, en partenariat avec la Fondation Mastercard, et portant sur les répercussions de la pandémie de Covid-19 sur le secteur, dénombrait 54 638 agents actifs dans le secteur du transfert d’argent. Dans une étude précédente, publiée en juillet 2020 et ciblant sept pays africains, le même cabinet avait identifié 24 fintechs et 47 facilitateurs et partenaires de financement opérant au Sénégal. Signe de ce dynamisme, Wave Digital Finance, filiale du groupe Wave Mobile Money opérant dans plusieurs marchés de l’espace Uemoa, est devenue récemment la première structure non-bancaire, non-opérateur de télécommunications, à obtenir la licence d’Établissement de monnaie électronique (Eme) de la Banque centrale des états de l’Afrique de l’ouest(Bceao).

Contribution à l’inclusion financière

Selon Dr Mamadou Mbaye, spécialiste des fintechs et des cryptomonnaies et enseignant à l’Unité de formation et de recherche (Ufr) de l’Université de Thiès, ces technologies financières « changent notre rapport avec la monnaie ». En effet, elles facilitent les transactions, rendent plus accessibles les produits financiers et contribuent à la dématérialisation du système monétaire. « Elles offrent des possibilités d’optimisation de nos relations avec la monnaie au sens large et plus globalement avec le système bancaire », selon le Dr Mbaye qui s’exprimait récemment à travers les colonnes du quotidien « Le Soleil ». De fait donc, les fintechs contribuent à l’inclusion financière. La preuve est que la clientèle de départ était essentiellement composée de la population non bancarisée et informelle ; avec les systèmes de paiement et de transfert sur des plateformes numériques et les portefeuilles de monnaie sans compte bancaire. Ainsi, les fintechs participent à la financiarisation de l’économie sénégalaise dominée par le secteur informel. Elles contribuent à faciliter les rapports entre clients et banques (presque toutes les opérations peuvent se faire en ligne). Pour ce qui est de la banque, ces technologies facilitent la collecte de l’information sur les clients, la traçabilité des opérations tout en réduisant du coup l’asymétrie d’information, le risque de défaut et les coûts de gestion de la clientèle. Toutefois, note Dr Mamadou Mbaye, les fintechs accompagnent le développement du système bancaire, car la plupart de ses sous-jacents sont constitués de produits bancaires. Le recensement effectué dans l’espace de l’Union économique monétaire ouest africain (Uemoa), à fin 2021, a permis à la Bceao de relever que les fintechs interviennent principalement dans la fourniture de moyens et services de paiement, tels que la distribution de monnaie électronique, le transfert d’argent et l’agrégation de paiement. Elles proposent également des plateformes numériques pour le commerce électronique, la gestion de données et de flux financiers. Dans son rapport semestriel de surveillance des moyens et services de paiement publié en septembre 2021, la Bceao renseigne que le volume des opérations via les comptes de monnaie électronique s’est établi à 1,74 milliard de transactions évaluées à 20.451,66 milliards de FCfa à fin décembre 2020, contre 1,16 milliard d’opérations pour une valeur globale de 12.346,56 milliards de FCfa le semestre précédent, soient des hausses respectives de 50% en volume et de 65,65% en valeur. Il ressort de l’analyse des données que le secteur de la monnaie électronique dans l’Union est principalement dominé par les établissements de monnaie électronique (Eme) qui détiennent plus de 70% du marché sur les deux derniers trimestres de l’année 2020.

Comité fintech

Pour accompagner et encadrer ces innovations financières, la Banque Centrale a créé, depuis février 2020, un Comité fintech qui a une triple mission :  c’est d’abord, « promouvoir un développement harmonieux des fintechs de l’Umoa afin de tirer parti des opportunités qu’elles présentent pour le développement de l’utilisation des instruments de paiement modernes. C’est ensuite, le renforcement de l’inclusion financière des populations, et enfin la préservation de la stabilité du système financier de l’Umoa ». Dans la foulée, un Bureau de connaissance et de Suivi des Fintechs (Bcsf) a été mis en place. Il est notamment chargé de recueillir et de traiter toute demande d’information ou d’entretien avec le Régulateur, ainsi que tout sujet d’intérêt commun, en rapport avec les innovations technologiques et la régulation du secteur financier.

Le défi de la régulation

L’ancien Gouverneur de la Bceao Tiémoko Meyliet Koné, reconnaissait lors d’une conférence internationale avec la Banque mondiale sur le sujet à Dakar, que si l’industrie des fintechs a montré sa capacité à répondre efficacement aux besoins des usagers, leur ampleur disruptive sur le système financier a surpris les régulateurs et les acteurs de la finance classique. « Les fintechs menacent d’obsolescence de nombreux métiers. Elles modifient profondément les pratiques des acteurs et ouvrent la porte à de nouveaux modes de fourniture et de consommation des services financiers. Ces nouveautés sont alignées sur les aspirations des populations, qui aspirent à des services financiers plus simples, plus efficaces, plus adaptés, plus accessibles et moins coûteux », soulignait-il. Face à cette mutation qui « pourrait bouleverser l’équilibre du système financier » et qui n’est pas exempt de risques (notamment la cybercriminalité, le blanchiment de capitaux ou encore la non transparence concernant l’exploitation des données personnelles collectées), les banques centrales du monde entier tentent de réagir pour « maîtriser » la révolution. « En tant que régulateurs, nous avons le devoir de veiller à ce que nos politiques et nos actions exploitent de façon optimale le potentiel des technologies financières, tout en préservant la confiance en la stabilité de notre système financier », expliquait le banquier central. Réguler sans entraver l’innovation. Tel semble être le pari de la Bceao.

Risques accrus

Ce qu’il faut dire, c’est que le régulateur a toujours une longueur de retard sur le développement technologique. « Une nouvelle approche de la régulation s’impose, le champ s’étant beaucoup élargi », estime ainsi le Restic (Rassemblement des entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication) dans un communiqué datant du 22 mai dernier. Au Sénégal, sur 12 millions d’abonnés mobiles, avec les trois opérateurs, « seulement 800 000 ont un compte bancaire d’où le potentiel immense qui s’ouvre pour les fintechs et les Eme », rappelle l’association. Dans un article publié sur le site du Fmi, le 13 avril dernier, Antonio Garcia Pascual et Fabio Natalucci, respectivement chef-adjoint de la division analyse des marchés mondiaux, et directeur-adjoint du département des marchés monétaires et de capitaux, estiment qu’en plus du défi de la réglementation, le développement des fintechs engendrent des risques accrus. Selon ces deux spécialistes, les banques numériques, également désignées sous le nom de néobanques, sont plus exposées que leurs homologues traditionnelles aux risques que présentent les prêts à la consommation, qui sont généralement moins protégés contre les pertes, car moins assortis de garanties. En effet, en plus de prendre davantage de risques dans leur portefeuille de titres et de risques de liquidité, les néobanques détiennent « moins d’actifs liquides par rapport à leurs dépôts que les banques traditionnelles ». Une autre innovation technologique, qui s’est développée rapidement ces deux dernières années, est la finance décentralisée, réseau financier fondé sur des cryptoactifs sans intermédiaire central. Également appelée DeFi, elle offre la possibilité d’assurer des services financiers plus novateurs, inclusifs et transparents grâce à son efficience et son accessibilité accrues. « Mais elle suppose également un accroissement de l’endettement, et elle est particulièrement vulnérable aux risques de marché et de liquidité et aux cyber-risques. Les cyberattaques, qui peuvent être graves pour les banques traditionnelles, sont souvent meurtrières pour ces plateformes car elles dérobent les actifs financiers et ébranlent la confiance des usagers », alertent Antonio Garcia Pascual et Fabio Natalucci, qui à ce titre appellent les banques centrales à adopter « une réglementation plus stricte », compte tenu des interconnexions entre les fintechs et les banques classiques, afin de mieux protéger les investisseurs et les consommateurs. Cette approche holistique dans la régulation est partagée par plusieurs experts. En effet, il faut noter que les fintechs accompagnent le développement du système bancaire, car la plupart de ses sous-jacents sont constitués de produits bancaires. À ce propos, Dr Mamadou Mbaye invite à définir un cadre réglementaire incitatif et un cadre juridique pour encadrer les entités non bancaires. « Il faudra normer le secteur avec une surveillance accrue des agents et des transactions. Il faudra aussi faciliter l’accès au financement des startups, en mettant en place un cadre juridique, institutionnel et réglementaire voire technique pour booster le secteur », dit-il.Lejecos Magazine