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SÉNÉGAL, LAÏCITÉ ET SÉCULARISME PAR BABACAR FALL

Le post sur Facebook de Mary Teuw Niane du 14 septembre 2022 : « la laïcité, un tabou étranger à notre culture » me donne l’occasion de revenir sur un sujet qui est un nœud gordien pour l’évolution de la République Le post sur Facebook de Mary Teuw Niane du 14 septembre 2022 : « la laïcité, un tabou étranger à notre culture » me donne l’occasion de revenir sur un sujet qui est un nœud gordien pour l’évolution de la République. Qu’est-ce qu’un citoyen ? Quel sens donner au pacte social, ou pour reprendre la magnifique expression senghorienne, « notre commun vouloir de vie commune. » Mais avant, il est nécessaire de clarifier le débat et cerner ses enjeux.

La laïcité à la française 

La première définition formelle de la laïcité fut exprimée, en 1881, par Ferdinand Buisson, philosophe, homme politique et cofondateur de la ligue des droits de l’homme en 1898. Il considère la laïcité comme le résultat d’un processus historique au cours duquel la sphère publique s’est affranchie du pouvoir de la religion. Il en résulte l’État laïque, neutre à l’égard de tous les cultes, indépendant de tous les clergés, pour réaliser l’égalité de tous les citoyens devant la loi, avec des droits assurés en dehors de toute condition religieuse et la liberté de tous les cultes. Cette spécificité française trouve sa traduction dans la loi dite de séparation de l’église et de l’Etat de 1905. Les historiens sont tous d’accord aujourd’hui pour démontrer qu’il y a plusieurs modèles qui se sont affrontés lors des débats parlementaires de l’époque. Cependant dans le cadre de cette analyse, je retiendrai le modèle majoritaire porté par Aristide Briand et Jean Jaurès. Jean Baubérot le définit ainsi  : « La loi non seulement assure la liberté de conscience et le libre exercice des cultes (article 1) mais respecte l’organisation de chaque religion (article 4), même si aucune religion n’est désormais « reconnue » ni financée sur fonds publics (article 2). La laïcité ainsi définie par la loi autour de la liberté de conscience, comporte une dimension qui déborde l’aspect strictement individuel. Avec l’instauration d’aumôneries sur fonds publics (fin de l’article 2), avec la dévolution gracieuse des édifices du culte, propriété publique, aux associations cultuelles et diocésaines (articles 7 à 17), avec la construction, dès les années 1920, de la Grande Mosquée de Paris, la loi de 1905 et son application ultérieure ont fait que, dans certains cas, l’exercice de la liberté de conscience comme « liberté de culte », garantie par l’article 1 de la loi de 1905, doit l’emporter sur l’absence de subvention. C’est la position constante du Conseil d’État en France, et d’associations comme la Ligue de l’enseignement ou la Ligue des droits de l’homme qui a aussi permis enfin, durant les années 2000 la construction de carrés musulmans dans beaucoup de cimetières et de centaines de mosquées dans plusieurs villes de France. Pour les sociologues des religions, la laïcité française ne constitue pas une exception, mais s’inscrit dans la même dynamique historique que les différents sécularismes qui ont traversé l’histoire mondiale. Enfin, Mary Teuw ne comprend pas le concordat en Alsace-Moselle  : « en France même, le principe de la laïcité n’est pas universel. » En fait ce dont il s’agit, c’est du statut spécifique des trois départements d’Alsace-Moselle, qui n’étaient pas français de la fin de la guerre de 1870-1871 à 1919 (après la Première Guerre mondiale). Les lois de laïcisation de l’école publique et la loi de 1905 ne leur ont donc pas été appliquées quand elles ont été votées.  Ces trois départements ont globalement, conservé le régime issu de la loi Falloux de 1850 (pour l’école publique) et le régime du Concordat et des Articles organiques (1802) qui induit un financement des « cultes reconnus » et le paiement de leur clergé sur fonds publics. Quand ces départements sont redevenus français leur régime spécifique a été maintenu « à titre provisoire ». Non seulement ce « provisoire » dure encore, mais le Conseil constitutionnel a rendu une décision selon laquelle un tel statut juridique est conforme à la laïcité de la République énoncée par la Constitution.

Définition et historique du concept de sécularisme

Le terme sécularisme est un anglicisme. Il s’agit d’une doctrine selon laquelle la religion ne doit pas avoir, ni chercher à avoir de pouvoir politique ou législatif. Elle prône la séparation de l’Eglise et de l’Etat et affirme en corollaire que le pouvoir politique ne doit pas intervenir dans les affaires propres aux institutions religieuses. Le sécularisme désigne une tendance objective et universelle à faire passer les valeurs sociales du domaine du sacré à celui du profane. On peut le penser comme l’exigence de la séparation des institutions séculières du gouvernement et de la religion, mais il ne s’y réduit pas. Il renvoie à la désacralisation de l’organisation sociale perçue non pas comme une donnée naturelle exigeant l’adhésion automatique aux valeurs établies, mais plutôt comme un produit de l’histoire des politiques humaines.

Sécularisme et sécularisation en Europe

Le processus historique de sécularisation est d’abord apparu sous la chrétienté médiévale ou dans les empires islamiques et sans aucun doute dans d’autres sociétés également. L’art, le droit, ou la politique conquièrent au fil du temps leur autonomie à l’égard d’une pensée religieuse qui les avait d’abord fondés. La séparation est acquise entre les différents segments de la vie sociale. La religion n’est plus que l’un d’entre eux et non celui qui donnait sens à tous. Elle se manifeste dans l’émergence d’aspirations, d’attitudes et de comportements nouveaux. Dans beaucoup de pays de culture catholique la logique fut celle de la laïcisation. La religion s’est trouvée reléguée dans la sphère privée. En pays protestant, l’émancipation de la religion s’est opérée selon une logique de sécularisation, moins conflictuelle. Dans ce cadre, les activités publiques exercées par des groupes religieux sont reconnues juridiquement, y compris leur contribution à l’éducation citoyenne (par des cours de religion dans les écoles publiques, par exemple). La construction européenne favorise également la diffusion du principe de la dissociation croissante de la confession religieuse du domaine public et son intégration croissante dans la sphère privée. Et la Convention Européenne des Droits de l’Homme de novembre 1950 (article 9) a consacré les principes de tolérance et de liberté religieuse.

Sécularisme dans le reste du monde

Dans certaines sociétés de culture musulmane contemporaine, la séparation entre le processus de sécularisation et celui de laïcisation est mieux affirmée, et cela pour deux raisons. La première est que le combat pour la modernité fut essentiellement un combat contre la domination coloniale et non contre un ennemi intérieur (le clergé catholique en France par exemple). L’aspiration à l’émancipation du joug colonial imposait la nécessité de maintenir des contradictions provoquées par le processus de modernisation sociale. La religion en sortit à la fois renforcée et rénovée par l’addition d’une dimension identitaire. La seconde est que l’appel aux réformes et à la modernisation est venu, souvent, des élites religieuses, qui sont les alliées privilégiées des acteurs politiques majeurs. Ces derniers comptent sur elles non seulement pour neutraliser les courants conservateurs religieux (sous le masque du réformisme souvent et contre les confréries), mais également pour ses politiques. Les relations entre Léopold Sédar Senghor, ses compagnons et les différentes personnalités religieuses dans les périodes pré et post indépendance s’inscrivent dans ce contexte.