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Les carences cachées de la grande muette du secteur primaire Par Henri Eli Yangane

Le secteur de l’élevage sénégalais amorçait l’ère d’une intégrité systémique de la structure elle-même et sa corporation en 2015. Des changements souhaités tels que la création d’un Secrétariat général à cette date, ainsi que son appui plutôt par le Plan national de développement de l’élevage (Pnde), cadre de référence, sont devenus aux yeux des acteurs, huit (8) années encore inachevées. Ainsi, se succède une bourde sectorielle favorisée par la crise du Covid-19 depuis 2020 qui a suscité une bienveillance conjoncturelle de l’Etat, volant au secours de l’administration publique et privée. Cependant, cet élan ayant comme maître-mot «Résilience nationale», a marqué forfait le secteur de l’élevage qui s’insurge en bandoulière entre autres maux  : lenteurs administratives sur les augmentations affectées dans la Fonction publique et privée, dévalorisation accentuée des salaires, absence d’indemnités de risques encourus dans la pratique, rétention de primes, conditions de travail difficiles et manque de considération de l’Etat. Les cris revendicatifs sporadiques de ces soldats de la seringue et des productions animalières ne sont pas si assourdissants à l’endroit du gouvernement du Sénégal pour un traitement prioritaire des urgences. Près de 26 milliards de F Cfa était l’allocation au secteur de l’élevage en 2020. Ce budget a connu une augmentation d’environ 1 milliard de francs Cfa, portant ainsi cette enveloppe à plus de 27 milliards en 2021. Un budget qui prévisiblement montre à suffisance le panorama représentatif de succession de chiffres assez dérisoires et persistants au fil des années. Contrairement aux autres secteurs primaires, à savoir la pêche et l’agriculture, des pans soutenus aujourd’hui par des politiques publiques et investissements porteurs de développement, l’élevage participerait au loin sous l’effet d’une inclusion dans le tissu du changement. Etant une insuffisance dans la prise en charge des réels défis, l’élevage au Sénégal aurait tardivement vu naître ses différentes attributions le 23 septembre 2013, suite au décret n°2013-1281. A cet effet, le ministère de l’Elevage et des productions animales, sous l’autorité du Premier ministre d’alors, prépare et met en œuvre la politique définie par le chef de l’Etat. Par ailleurs, dans cette même mission régalienne à contribution efficace et effective de l’autosuffisance alimentaire, l’environnement du secteur a été amélioré afin de favoriser la réalisation des objectifs du Plan Sénégal émergent (Pse) institué en 2012. En 2017, malgré une situation pastorale assez difficile en 2016, les acteurs de l’élevage ont dû contrebalancer les performances, l’une des plus satisfaisantes, à 97%. Relativement au suivi de la mise en œuvre de la politique sectorielle entraînée par l’augmentation et la sécurisation des productions animales, et l’amélioration de leur qualité, ces principaux indicateurs sont vaillamment portés d’une main secourable par l’ensemble des directions nationales (services vétérinaires, développement des équidés, industries animales…).

Essoufflement des équipements et infrastructures affectés…

L’approvisionnement en viande de qualité à suffisance, proportionnellement au vaste marché de consommation, est l’un des objectifs majeurs des acteurs de l’élevage. Cependant, le personnel administratif, les vétérinaires et autres techniciens du Ministère de l’élevage et des productions animales (Mepa), qui ne représentent pas plus de sept cents (700) agents pour le maillage territorial et qui demeurent des piliers confirmés, semblent dès lors ignorés dans cette chaîne de distribution. Un travail de prévention en amont, à travers une inspection intensive du cheptel, un contrôle qualité de produits indispensables précités (viande bovine et viande de volaille industrielle), serait réduit à néant, ce qui est plus qu’aléatoire avec plus de deux cent mille tonnes (200 000 t) consommées chaque année. Par conséquent, eu égard à ces résultats satisfaisants, le cadre de vie, d’exercice de la pratique des agents techniques de l’élevage, des ingénieurs des travaux de l’élevage voire des ingénieurs zootechniciens mêmes, n’est pas entretenu. Dans les départements et communes des 14 régions du Sénégal, nous pouvons clairement apercevoir, sans ambigüité, un accueil non hospitalier, les indisposant dans leur collaboration avec les populations. Une écrasante majorité des bâtiments abritant les services de l’élevage et des productions animales marquent les stigmates de la vieillesse, pire certains menacent ruine au grand dam des agents méritants. En d’autres termes, cette acceptation de ces conditions de travail dévoilerait un esprit armé d’engouement à un dévouement ferme et inconditionné à servir et veiller à la santé animale et même humaine, considérant aujourd’hui la réalité du «One Health». A cela s’ajoute le fait que beaucoup de chefs de poste vétérinaires sont en location dans les communes devant l’absence de poste construit. Une somme de ces limites qui se solde par la non-concrétisation des perspectives soulevées en 2018 sur l’appui au pastoralisme et ses panoplies de projets et programmes. En 2022, quatre (4) années se sont écoulées, ces projections ne sont toujours pas réalisées comme le stipulait le rapport d’activités 2017 sur son point 2  : «Le renforcement des réalisations en termes d’infrastructures et d’équipements pastoraux dans une résilience des systèmes d’élevage.» Un parc automobile (véhicules ou cyclomoteurs) vieillissant ou absent accentue une carence continue du secteur. Cette défaillance favorise des tractations intempestives sur les indemnités, lesquelles doivent faciliter un quelconque déplacement en cas d’intervention dans les zones à vaste étendue, aux confins des communes. Ainsi, de ces tourments de souffre-douleur, après cette insuffisance de moyens de déplacement, les agents, en plus de subir les affres de cette vague aux allures ségrégationnistes sur les primes et salaires, les asphyxient  : le logement à des prix écrémés et de lourds frais d’investissement comme l’achat d’une motocyclette pour mieux prendre en charge leurs missions régaliennes. Un constat similaire est aussi opéré en zone insulaire, particulièrement dans les îles du Saloum, où une vedette a été affectée, mais cette fois-ci, c’est dans l’opérationnalisation de son encadrement que se situe le dysfonctionnement. Bien que cette dernière existe et jouant un rôle primordial dans le désenclavement de ces îles du Sénégal, la ressource humaine pour son fonctionnement n’est pas prise en compte. La présence en permanence d’un conducteur de vedette au service des agents favoriserait plus de célérité des agents durant les interventions pour un meilleur maillage et une inclusion de façon effective des îles aux différents programmes du service de l’élevage. Au plan infrastructurel, dans le lot des moyens indispensables, nous pouvons compter des parcs à vaccination en nombre très insuffisant. En outre, les risques pourraient s’accroître avec une insécurité menaçante chez les agents de l’élevage lors des campagnes de vaccination des grands ruminants (bovins). Par ailleurs, des coups de sabot de bœufs ou de chevaux, des blessures causées par les coups de cornes et des morsures sont des accidents très fréquents. Contentionner ces bovins dans des parcs destinés à la vaccination serait d’un grand apport sécuritaire pour éviter des accidents de travail. Un autre facteur rend la liste des problèmes loin d’être exhaustive ; il s’agit du plateau technique en manque. Nous pouvons en citer des seringues, du matériel de chirurgie, des vêleuses, des sondes naseau-œsophagiennes, des gants aseptiques, etc. En ce sens, la satisfaction intégrale est prise en charge en général par les cliniques privées qui sont malheureusement insuffisantes pour la polarisation à cause de ses coûts prohibitifs. Malgré cette faible privatisation de la médecine vétérinaire, les services publics de l’élevage et des productions animales assurent toujours de façon efficace, les soins de santé sur les animaux dans la majeure partie du territoire national. Il est à noter qu’afin de mieux assurer les interventions cliniques sur le terrain, les agents sont obligés de se ravitailler en médicaments vétérinaires, partant de leurs fonds propres. Cette démarche salutaire promeut l’accessibilité, la proximité et la disponibilité de ce service vis-à-vis des populations.

Risques du métier et dégradation sociale des acteurs de l’élevage

«Un secteur de l’élevage compétitif, satisfaisant de manière durable la demande nationale en produits animaux et assurant la promotion socio-économique de ses acteurs» est la nouvelle articulation actualisée depuis 2014 dans le Plan Sénégal émergent (Pse). La vision précitée, qui est la «compétitivité», commence à être matérialisée par la filière laitière appuyée par la race bovine, le développement de l’aviculture et le l’apiculture, la promotion des cultures fourragères, le développement de la filière équine avec le renforcement génétique, les haras nationaux, l’amélioration de la stabulation, etc. L’opérationnalisation du système de collecte de données, pour améliorer le pilotage du secteur et contribuer à rendre l’élevage davantage attractif à l’investissement privé, figurait parmi les actions motrices de développement du secteur. De lourdes tâches dont les agents ne feront qu’une priorité sont corroborées au sacerdoce et obligation de respect de mener à bien toutes les politiques de l’Etat. Œuvrant toujours au nom de l’action concrète, les acteurs axent leurs interventions sur quatre (4) domaines généraux  : 1) le zoo sanitaire du bétail, 2) la sécurisation du cheptel, 3) les chaînes de valeurs animales, 4) l’accès des produits animaux. Ces acquis, qui préfigurent les premiers jalons posés en 2012, étaient la contribution majeure à l’atteinte maximale à l’autosuffisance alimentaire, seul gage à l’effort de lutte contre la pauvreté. En effet, sur une déclinaison assez claire du vrai sens du devoir des agents véritables adeptes de performances probantes, les missions titanesques sur le terrain ne sont pas sans risques. Ces tâches non aisées témoignent aujourd’hui de la forte précarité qui sévit en ces temps dans le secteur de l’élevage. D’abord, au plan technique, l’exposition permanente des agents ainsi que de leur famille aux zoonoses qui sont à une récurrence extrême démontrant au loin de l’effectivité de ce qu’on appelle la surveillance épidémiologique tant défendue. Il existe certaines maladies transmissibles de l’animal à l’homme et qui constituent une sérieuse menace pour les agents sur le terrain lors des activités de clinique vétérinaire et durant l’inspection de salubrité des viandes destinées à la consommation humaine. Parmi ces maladies, nous pouvons citer  : la fièvre de la vallée du Rift, la fièvre Crimée Congo, la grippe aviaire et la rage. Il existe d’autres pathologies avec une surveillance continue et qui sont en contact direct avec l’homme, favorisant des conditions difficiles de travail. Dans la mise en œuvre des missions assignées au secteur de l’élevage, il était question d’accentuer l’intervention sur l’objectif intitulé  : Assurer l’amélioration et la protection de la santé animale. Depuis des années, ceci était la clé de voûte des acteurs pour une meilleure prévention. Mais nonobstant la mise sur pied du Système national de surveillance épidémiologique des maladies animales (Snse), avec ses efforts encourageants par exemple sur la planification pour le contrôle et l’éradication de la Peste des petits ruminants (Ppr) pour lequel le Sénégal s’est engagé à l’horizon 2025, des dommages surgissent souvent chez les agents dans l’exercice de leur fonction. Assurer leur immunité en cas de contagion d’une de ces maladies est un parcours du combattant. L’administration du vaccin anti-rabique aux agents de terrain, en cette année 2022, témoigne de la nécessité d’assurer au personnel technique, une bonne immunisation. Soulever les risques d’empoisonnement paraît irréaliste dans l’entendement. Le risque existe bel et bien souvent lors de l’extermination, par les services vétérinaires, des chiens errants lorsqu’ils deviennent, en des périodes de l’année et dans certaines zones du territoire, très envahissants et qui fragiliseraient la quiétude des populations. Ainsi, une mauvaise manipulation de la strychnine, un poison redoutable qu’utilisent les services vétérinaires, peut virer au drame faute d’un cadre de services d’urgences rapides et de protection après des accidents de travail. Ensuite, au plan sécuritaire, il est doublement noté son imperméabilité générale dans le secteur. Les agents font face, dans un état inoffensif, aux exactions courantes et sommaires d’abattages clandestins. Ce sont des opérations perpétrées et récidivées par les malfaiteurs, des instigateurs généralement dangereux. Sur ce terrain très hostile, un autre phénomène le justifie  : la commercialisation de façon frauduleuse des médicaments vétérinaires, ainsi que leur circulation dans le marché noir. Les vétérinaires sont obligés de s’adapter, avec des moyens dissuasifs qui leur sont propres jusque-là. Dans cette même chaîne d’une fébrilité accrue, se trouvent les éleveurs qui sont dans le groupe des producteurs. Toutefois, ils ne peuvent être écartés des plus faibles de cette exaction majeure dans la zone rurale, celle du vol de bétail. Ce fléau est transversalement une des plus grandes préoccupations et défis de tous les agents de ce grand secteur porteur, l’élevage. Cette résignation des acteurs, relative à ces problématiques qui se meuvent dans une éternelle récidive, persiste toujours bien qu’il eut un plan d’actions élaboré depuis 2014. Il était question à cette époque, d’entamer une lutte structurelle mettant fin à la pratique redoutée du vol de bétail à travers la sensibilisation et l’information, lutter contre les abattages clandestins, l’identification et enfin la plus urgente  : la prise de décisions rigoureuses et immédiates sur le renforcement du dispositif sécuritaire et la révision du cadre réglementaire et législatif. En plus, des dommages collatéraux de cette grande paralysie du secteur suite au mouvement d’humeur des agents du secteur de l’élevage, surgissent en nombre des éleveurs et producteurs qui en pâtissent. Ces derniers n’ont qu’une et seule source de revenu financière, l’élevage, un secteur important de l’économie nationale. Ses activités assurent les moyens de subsistance de 30% des ménages en milieu rural. Le Plan national de développement de l’élevage depuis 2016 le réaffirmait à partir de son référentiel. En ces temps tumultueux où tout est à l’arrêt, l’inspection de la salubrité des viandes n’est plus systématique et la sécurisation du cheptel est moindre, la dispense des techniques et d’outils en termes de formation, d’encadrement et d’investissement sur la réalisation de projets est plus ou moins inaccessible. Enfin, les dures conditions de travail ne sont jamais sanctionnées proportionnellement par une assurance sur le risque. Supposé encadré dans la budgétisation annuelle de l’élevage et des productions animales qui est tablée en 2022 à plus de 29 milliards, ce chiffre est loin de satisfaire tous les manquements d’ordre social. Les primes de risques et les indemnités de logement sont devenues une demande profonde et légale. Son alignement pour tous les fonctionnaires de l’élevage est un droit absolu vu l’arrimage depuis quelques mois des augmentations des primes dans des secteurs par l’Etat du Sénégal. Le fonds d’intervention institué par décret de son caractère impersonnel serait au grand avantage de tous les agents de l’élevage. L’exceptionnalité ne doit pas constituer un désavantage à ces mandatés et assermentés de l’Etat pour l’amélioration de leur cadre de vie social, de travail, de leur indemnisation face aux risques d’accidents, d’exposition aux zoonoses, d’agression en présence d’abattages clandestins, de vol de bétail et d’utilisation de produits dangereux.Henri Eli Yangane SENE Journaliste