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Concertation sur la cherté de la vie : Quelques enseignements de l’économie publique sur les rapports entre Etat, secteur privé et consommateur Par Dr Thierno Thioune

Il est sans doute important, pour concrétiser efficacement les mesures retenues de la concertation sur la cherté de la vie, de rappeler brièvement les conceptions principales des rapports entre l’État et le secteur privé, ainsi que les politiques économiques de l’Etat. Le nœud de l’exercice est d’affiner le carré « développement économique, bien-être, inégalités et redistribution des richesses » qui en constituent les finalités. Cependant, il est important pour atteindre cet objectif de comprendre les causes de la hausse des prix, corolaire de la cherté de la vie.

Traditionnellement deux sources sont identifiées :

La hausse des prix expliquée par un phénomène d’origine monétaire, ce qui n’est pas le cas ici, tout au moins, pas encore. La hausse des prix, expliquée par l’expression de déséquilibre des marchés appelée inflation par la demande suite à l’excès de la demande par rapport à l’offre de biens sur un grand nombre de marchés comme Keynes l’illustre quand la demande globale est supérieure à l’offre globale. Toutefois, cette demande globale doit engendrer une augmentation de la masse monétaire Au Sénégal, économie ouverte, le rôle des importations fait que l’inflation par la demande est plus rare. Actuellement, dans le pays, ce sont des effets conjugués sur le plan international qui expliquent cette situation de vie chère que nous vivons. Ils se traduisent par l’augmentation des coûts de production répercutée sur les prix qui engendre la course poursuite salaires-coûts-prix. Spécifiquement, lorsque la hausse du coût du travail est supérieure aux gains de productivité cela entraine une hausse du coût de production des produits qui entraine une augmentation des prix qui entraine à son tour une baisse du salaire réel (du pouvoir d’achat) qui entraine des pressions sociales pour une hausse des salaires qui entraine une hausse du coût du travail devenant supérieur aux gains de productivité…d’où un cercle vicieux.

Qui en sont les responsables ?

A travers l’excès de demande, les responsables sont les ménages qui haussent leur consommation ou leur acquisition de logements par exemple lorsque celles-ci sont financées par crédit ; les entreprises par un accroissement non autofinancé de leur effort d’investissement et l’Etat par la politique de soutien à l’activité économique financée par un déficit budgétaire. A travers l’insuffisance de l’offre, les responsables sont les entreprises par leurs insuffisances des capacités techniques de production trop rigides (rigidité des moyens de manutention au niveau du port autonome de Dakar par exemple, probablement l’une des principales explications de la congestion notée) ; l’Etat par le manque d’infrastructures et de moyens de communication efficaces et l’insuffisante formation de la main d’œuvre et enfin l’environnement qui engendre des facteurs accidentels tels que les catastrophes naturelles, les guerres, les conditions climatiques pouvant provoquer des pénuries temporaires.

Que doit faire l’Etat en pareille situation ?

Deux pistes paraissent s’opposer ; entre elles figure la recherche d’une voie médiane (nous estimons qu’il s’agit là de l’objectif de cette concertation sur la cherté de la vie qui vient à point nommé). La première dite de la « contrainte » considère l’Etat comme une réalité supérieure, distincte des groupes sociaux, susceptible d’un système de valeurs global répondant à un bien commun, irréductible aux intérêts particuliers et qui peut être décrit par une fonction de préférence collective. Donc son rôle, l’Etat, est de lever les contraintes, et aux besoins de les poser, en pareille situation en mettant en place des « biens » publics (oui rendre la vie moins chère constitue un bien public pour tout gouvernement sérieux) principalement à fort caractère socio-politique. La deuxième dite de « l’échange » fait de l’Etat une sorte d’entreprise spécialisée, un moyen d’action n’ayant pas d’existence propre en dehors des volontés des individus. L’intérêt collectif n’est que l’intérêt individuel commun à plusieurs (agrégation des intérêts des associations consuméristes, du secteur privé, de Etat) soulevés lors de la concertation. C’est seulement dans ce sens que les 17 directives qui en résultent pourraient constituer des biens publics qui ne sont acceptés comme tels qu’en raison de certains caractères d’indivisibilité (respect des principes de non-exclusion et de non-rivalité comme le veut la réponse de Monsieur le Président au représentant des associations des détaillants « Miim Rëw si guén Bokk ») ou de certains effets externes (les corrections sur la distribution de la marge sur toute la chaine (importateur-grossiste-demi-grossiste-détaillant)).

L’offre et la demande de ces biens publics relèvent de facteurs économiques et tout le problème du Chef de l’Etat sera d’accorder les mécanismes correspondants (aux 17 directives) au respect des critères d’optimalité de Pareto. C’est à dire, en termes de bilans coûts-avantages et par référence à l’optimum de Pareto, le Président de la République engage l’efficacité du comportement spécifique de l’agent-Etat, comme les agents privés.

Dans ce sens, la pratique de la méthode institutionnelle considère que l’Etat est dans des proportions variables, reflet des phénomènes de « violence » et de « coopération » (coopération entre les acteurs c’est à dire Etat, secteur privé et associations consuméristes), et accepte l’idée que la contrainte existe déjà au niveau du marché (au niveau de la production). Dès lors, faut-il laisser agir la vérité des prix ! Non ! Même si les intérêts particuliers mènent le jeu et milite en faveur, encore que chacun puisse agir partiellement en fonction d’une conception de l’intérêt général, il n’en demeure pas moins que les décisions (mesures ou directives) de l’Etat ne soient plus principalement qualifiées par la contrainte, mais par un consensus de fait entre les acteurs (d’où la pertinence de la tenue de la concertation). L’amélioration du pouvoir d’achat qui devrait en découler et pouvant être considérée outre mesure comme bien public est définie… comme fait d’Etat, lequel (comme dans les deux cas de base « contrainte » et « échange ») est aussi un « producteur d’institutions » (de 17 directives) apte à lutter contre la cherté de la vie. Les Trois (03) semaines à venir nous édifieront. Mais en attendant d’ici là, est-il vrai que l’optique Etat-centre de décision n’est pas en soi mauvaise, puisqu’après tout il faut bien que les problèmes des actions à mener soient posés, au niveau gouvernemental, en termes de décision (de directives, de mesures à prendre). Mais faut-il pour autant accepter les opinions selon lesquelles l’Etat est le seul sujet réel de la pratique, ni à l’inverse le moyen, l’instrument d’une pratique conçue comme d’intérêt général ou commun. Nous ne le pensons pas car la théorie de l’Etat et de l’intervention économique d’Etat ne doivent en aucun cas s’identifier à la technique de prise de décision, ni à la description (même comptable) de ses effets dans la logique du « décideur ». Sinon, on en arrive à de véritables absurdités. Nous n’avions jamais assez cessé de dénoncer la personnalisation de l’Etat. Par exemple, faire de l’Etat un producteur d’institutions, de contrôles, de contraintes, de croissance économique, et de services » les plus divers…. au lieu qu’il soit perçu comme sujet collectif, interpelant tout le monde, de tous les acteurs constitués en classes et couches sociales. Loin d’un euphémisme, l’Etat en sera le produit de leurs rapports ; la vie de l’Etat et ses institutions ne devraient en fait qu’en refléter ces rapports, indépendamment de la conscience qu’en ont les « responsables des pouvoirs publics ». De fait, dans ces rapports, l’Etat devient agent, moyen si l’on veut, de transformations nouvelles, par son interventionnisme dont le contenu économique de l’intervention d’Etat, sera vu principalement à travers le prélèvement de ressources, suivi d’une création de certains « biens » dits publics, et d’une redistribution de ces ressources entre les agents privés, en particulier les centres de production et les consommateurs (les 17 directives a priori en ont l’ambition). S’y ajoutent les contrôles qui les accompagnent (notamment le recrutement de 1000 jeunes bénévoles) ont un aspect incitatoire (ils agissent sur les comportements privés), et ont un effet régulateur. Tout ceci n’est pas mal, mais nous préconisons d’aller au-delà : car c’est bien dans le mode social (complexe et complexifié) sénégalais de création et de répartition des ressources que devrait intervenir l’Etat. C’est sous cet angle fondamental que nous mettons dans le panier de la contribution le nécessaire besoin de s’interroger sur le caractère de soutien de l’accumulation monopoliste et d’exploiteur collectif propre au privé sénégalais. Nous donnons deux pistes pour cela. Il s’agit de s’interroger sur les transferts et incitations dans le cadre de l’accumulation monopoliste, de favoriser, mais non sans limites, la régularisation des conditions d’obtention du profit monopoliste et de la reproduction élargie du capital monopoliste et d’initier la normalisation de l’activité socio-économique dans son ensemble, et notamment des conditions de travail et du niveau de vie. Fort de ces considérations et pour venir à bout de la cherté de la vie, somme toute, et cela de manière durable, nous recommandons aux autorités de s’attaquer aux causes structurelles de la cherté de la vie à travers, d’une part, la correction des insuffisances de la concurrence et le problème de la compétitivité. Et d’autre part, de relever les défis liés à la concentration des entreprises dans certains secteurs, prendre en compte certaines spécificités des oligopoles, identifier les facteurs favorisant les ententes et la concurrence monoplistique dans le secteur du ciment notamment et renforcer la compétitivité-prix insuffisante des entreprises. Également, les pouvoirs publics ont beaucoup intérêt à régler les causes socioculturelles par la lutte contre les inégalités sociales et les luttes pour le partage de la valeur ajoutée. Donc, ajuster le triangle composé par ces trois mécanismes propagateurs identifiés que sont l’indexation automatique des salaires sur les prix, la répercussion automatique des hausses de coût sur les prix et les anticipations inflationnistes des agents économiques pour éviter de faire tomber l’ensembles des efforts consentis dans le triangle des Bermudes de l’inefficience collective.Thierno THIOUNE Maître de Conférences Titulaire,Directeur du CREA Centre de Recherches Economiques Appliquées,Faculté des Sciences Économiques et de Gestion Université Cheikh Anta Diop