« Ce qui est juste doit être conforme à la raison et à la conscience humaine avant d’être validé par une règle formelle. » Cheikh Anta Diop
Excellence Monsieur l’Ambassadeur,
Il est des coopérations qui élèvent les peuples et des pratiques qui les déshonorent.
Ce que vivent aujourd’hui certaines entreprises avec Enabel, l’Agence belge de développement, dans le cadre du projet Nekkal financé par l’UE, relève tristement de la seconde catégorie.
C’est au nom des valeurs universelles et européennes de bonne foi, de transparence, d’équité, d’éthique et de respect des engagements contractuels que je me permets de vous adresser cette lettre ouverte.
- Des contrats déséquilibrés et des pratiques opaques de rupture d’égalité
Le 13 octobre 2022, notre entreprise s’est vu attribuer un marché de confection de mobiliers pour les centres d’état civil, pour une durée d’un an — sans tacite reconduction.
Dès décembre 2022, Enabel reconnaissait dans le préambule d’un avenant l’impact de la flambée des prix liée à la guerre en Ukraine, admettant explicitement le déséquilibre financier du contrat. Pourtant, aucune révision équitable des prix ne fut opérée, malgré nos multiples relances, car dans l’esprit d’Enabel, l’aveu surtout écrit n’est pas la reine des preuves.
Pire, un traitement préférentiel a été consenti à un autre groupement intervenant sur le même projet Nekkal, mais dirigé par une entreprise belge, en l’occurrence le Bureau d’Architectes Emmanuel Bouffioux, qui a obtenu régularisation. Deux poids, deux mesures. Une telle partialité n’a pas sa place dans une coopération qui se veut exempte de reproches.
- Des violations de la loi belge, des reniements contractuels systématiques et une mauvaise foi contractuelle patente
Les manquements d’Enabel sont patents :
La violation de la révisabilité des prix pour tous les marchés supérieurs à 120 000 euros et dont le délai d’exécution est supérieur à 4 mois, disposition impérative de l’article 38-7 de l’arrêté royal du 13 janvier 2013. Ainsi, dans les processus de Enabel, pour les entreprises sénégalaises les prix sont fermes, mais pour les entreprises belges comme le cabinet évoqué supra, les prix sont révisables. Votre Excellence appréciera.
Le refus de respecter toute disposition de la loi belge à l’avantage des entreprises sénégalaises, comme cela a été le cas quand il s’est agi de bénéficier des dispositions de l’AR du 29-11-2022.
Prolongation indéfinie du délai contractuel pourtant échu en novembre 2023 (pire encore, le site de Dougba Ouro Alpha à l’origine de la saisine des tribunaux sénégalais n’a été réceptionné qu’en octobre 2025, soit 2 ans après le terme contractuel, donc 3 ans après notre offre), rendant ainsi patent, pour tout esprit raisonnable et de bonne foi, le bouleversement de l’équilibre contractuel au détriment de l’adjudicataire, surtout qu’il y a un aveu de Enabel (art. 38-9 arrêté royal) ;
Non-respect des quantités minimales à rembourser et prévues dans le cahier des charges en son article 117 pour les chaises ;
Retards de paiement répétés en violation des articles 120 et 127 du contrat, lequel fixe un délai d’un mois à compter de la réception des fournitures.
Ces comportements violent les principes élémentaires du droit des contrats, fondé sur la bonne foi et l’exécution loyale des obligations de part et d’autre.
Pire encore, Enabel a longtemps agi de façon déloyale avec les entreprises sénégalaises, toujours sans être inquiétée à cause justement des clauses de compétences juridictionnelles qu’elle insère dans ses cahiers des charges (contrat d’adhésion). Ainsi les plus grandes injustices sont habillées d’une forme juridique parfaite.
Surtout que ces clauses violent l’article 7.1.a du règlement (UE) nᵒ 1215/2012, qui prévoit la compétence du tribunal du lieu d’exécution de l’obligation. Elle viole aussi l’exigence d’acceptation claire découlant des arrêts Estasis Salotti (C-24/76) et Segoura (C-25/76).
De quoi Enabel a peur pour y déroger ?
- Des propos injurieux et un silence coupable
Nous avons été la cible de propos injurieux et méprisants de la part de trois agents d’Enabel — MM. Joël Leroy, Maxime Poissonnier et Cédric Debueger — tenus à l’encontre de nos hautes institutions et de notre personne.
Malgré plusieurs correspondances adressées à la Représentante résidente d’Enabel (6 juin 2024), aucune réponse ne nous a été donnée. Ce silence en dit long sur la culture de l’impunité et de l’injustice qui s’installe.
Nous espérons que l’UE ne s’accommode pas de ce genre de comportement.
- Des efforts ignorés, un mépris affiché
Faut-il rappeler que, dans le souci de qualité, nous avons volontairement, et comme gage de bonne foi, amélioré les spécifications techniques : renforts supplémentaires, compartimentage accru, communication gratuite pour les centres d’état civil.
Malheureusement la réciprocité n’a pas été au rendez-vous.
Une telle mauvaise foi contractuelle est indigne d’une agence financée sur fonds publics européens, mais pire encore elle ne fait que générer de la frustration et des injustices. Tuer les entreprises sénégalaises qui s’efforcent d’employer des jeunes ne concourt nullement à la lutte contre l’émigration clandestine.
- Quand la coopération devient discrimination
Enabel ne saurait être un instrument de préférence systématique pour les entreprises belges ni de marginalisation des opérateurs sénégalais, pour l’Union européenne.
Une coopération européenne sincère doit être fondée sur la réciprocité, la transparence et le respect des partenaires locaux.
Les pratiques actuelles ternissent non seulement l’image de la Belgique, mais aussi celle de l’Union européenne au Sénégal.
Excellence Monsieur l’Ambassadeur,
Nous en appelons à votre autorité morale et diplomatique pour que les comportements d’Enabel soient évalués à l’aune des principes que l’Union européenne promeut : la justice, la transparence, la responsabilité et la coopération équitable.
Nous demandons l’ouverture d’une enquête indépendante sur la gestion calamiteuse du projet Nekkal et les traitements différenciés opérés entre entreprises sénégalaises et européennes.
Il n’est pas question ici d’un simple différend commercial, mais d’un enjeu de crédibilité de la coopération UE-Sénégal.
Respectueusement,
Insa Camara
Entrepreneur lésé
Dakar, le 04 novembre 2025
