Les Dangers de la réforme en cours dans le Secteur de l’électricité Par Haby DIENG FALL
Introduction
Pour rappel en 1998, l’état du Sénégal par la loi 98-05 avait procédé a l’ouverture du Capital de la Senelec a des prives. Ainsi Elyo Hydro -Québec avait acquis 33% des parts de Senelec et s’est vu confie la gestion comme partenaire stratégique. Cette privatisation s’est soldée par un échec lamentable avec une désorganisation de la Senelec et une perte d’exploitation de 79 Milliards, jamais connu dans l’histoire de l’entreprise. Et, à la clé aucun investissement réalisé par ce consortium.
A la faveur de l’alternance en 2000, le gouvernement du Sénégal sous Abdoulaye Wade, résilie le contrat en 2001 après remboursement des parts de capital.
En 2005, une autre tentative de privatisation échoue et la Senelec est restée publique avec des difficultés d’investissements pour satisfaire la demande croissante en électricité, d’approvisionnement et financières .Ces difficultés se sont exacerbées avec la flambée des cours du pétrole en 2008( 140 dollars le baril en 2008).
Cela a eu pour conséquences la crise dans toutes les sociétés d’électricité de l’ouest africain qui en majorité étaient dépendantes du fuel pour le fonctionnement de leurs centrales.
Ainsi dans le cadre de l’UEMOA, une sous-commission énergie a été créé pour réfléchir et proposer des solutions de sortie de crise.
Cette Sous-commission a fait un diagnostic sans complaisance de l’ensemble des secteurs des pays de l’UEMOA et a abouti a une stratégie appelée Initiative Régionale pour une Énergie durable en 2009, qui s’articule autour de 3 Axes
Axe 1- Développer une énergie suffisante , compétitive et durable
Axe 2. -Mettre en place une politique d’efficacité énergétique en utilisant les lampes de basse consommation, des appareils dans les entreprises, hôtels et autres a faible consommation
Axe 3 -Ouvrir le secteur aux prives pour augmenter les investissements et créer un marché sous régional de l’électricité en procédant a des reformes institutionnelles par la création de la régulation et au besoin filialiser le secteur , dont les Entreprises pour la plupart étaient intégrées, a l’exception du Benin ou il y avait une société de production ( CEE en partenariat avec le Togo)et une société de distribution( SBEE).
Il faut dire malheureusement que le 3eme axe n’est pas une solution viable au vu de l’expérience de l’ensemble de ces pays en matière de privatisation. En réalité le prive ( en dehors du segment production avec des montages financiers type IPP) n’a jamais investi et ce sont les États qui ont supportes les investissements et les subventions tarifaires.
Pour l’axe 1, la solution pour réduire la dépendance vis-à-vis du pétrole c’était de s’orienter résolument vers le solaire , l’éolienne et hydro électricité pour avoir une offre suffisante à moindre cout( exemple de Mannantalli dans le cadre de OMVS entre le Sénégal, le Mali et la Mauritanie bel exemple de coopération Sous Régionale)
D’ailleurs pour en revenir au cas du Sénégal, la construction des centrales solaires à partir de 2015 a fortement contribue a la hausse du taux d’électrification rural qui est passe de 27% en 2012 a 58% en 2021 et la contribution du solaire dans la production d’électricité de 10% en 2012 a 30% en 2021.
Il est vrai face à la vétusté des centrales et au manque d’investissements pendant 20 ans du fait du refus de la Banque Mondiale de financer, l’état du Sénégal a ouvert le segment de la production aux prives. C’est ainsi que les IPP ont vu le jour avec une première expérience malheureuse avec GTI, ensuite Kounoune, la Centrale de SENDOU, Global Contour, Tobene Power. etc.. Même s’ils ont supplée le manque de capacité il faut souligner que la Senelec a acheté a des couts très onéreux avec des garanties lourdes pour sa trésorerie, sans compter une mise en œuvre très lente a cause des négociations trop longues qui ont faussées toutes les prévisions de Senelec
II Strategie reforme Senelec
Aujourd’hui en 2022, le Sénégal s’apprête à mettre en œuvre une stratégie datant de 2009 alors que les conditions économiques ont totalement changées ;
• Premièrement dans le secteur électrique avec des investissements de plus de 600 Milliards sur toute la chaine opérationnelle de Senelec(Production, Transport, Distribution et Commerciale) qui ,combines a une baisse importante des couts du pétrole depuis 2013 ont permis a la Senelec d’avoir des bénéfices et de devenir une société performante .
En effet avec le Contrat de performance signe avec l’état du Sénégal suite au plan de redressement élaboré après les émeutes de l’électricité en 2009 et en 2011, ensuite le Plan takkal ont permis d’avoir des ratios d’efficacité dans presque tous les domaines(augmentation de la capacité de production, augmentation du taux de disponibilité des groupes, réduction de l’énergie non distribuée, réduction du temps d’attente clientèle ect).
Également dans le domaine de l’approvisionnement, avec la création du FSE(Fonds de soutien a l’énergie) et le retour du monopole d’importation a la SAR( Société Africaine de Raffinage) a réduit les couts et sécurisé le fonctionnement des centrales.
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L’exploitation du gaz et du pétrole permettra de réduire considérablement les couts de production ,donc l’objectif de l’accès universel a l’électricité pourra être atteint
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Les projets de centrale hydro électriques comme guina et sambagalou et la poursuite des projets solaires permettront d’avoir une offre suffisante et à moindre cout.
C’est dans ce contexte que l’état du Sénégal a vote la loi 035-2022 consacrant le nouveau code de l’électricité
Ce code consacre en son article 8 la transformation de la Senelec en une holding et 3 filiales , Production, Transport et Distribution -vente,
Également en son article 5, elle renforce le rôle du Ministère dans la stratégie et la gestion du secteur de même que celui du régulateur ( article 6) qui désormais gère les appels d’offres et octroi des licences dans le domaine de la production et de la distribution.
En réalité ce code consacre l’ouverture aux prives de la production et particulièrement de la distribution vente, en clair une privatisation tous azimuts dans le secteur.
Ce qui est paradoxal, ce schéma qui découle des recommandations de IRED ( Initiative régionale pour le développement de l’électricité) de 2009 alors que ( tous les clignotants sont au vert et en réalité ce schéma a fait échec en Europe ou il est applique. On ne le retrouve dans aucun pays de l’Afrique de l’ouest, car il n’est pas viable.
En effet l’objectif d’accès universel ne peut être réalisé que par l’état qui consacre des investissements importants et subventionne les tarifs. Le prive ayant des objectifs de profit ne peux investir sur le long terme, car le retour d’investissements sur les projets électriques est lent et couteux.
L’expérience des concessions attribues a des prives a échoué car le cout de vente du KWh était trop onéreux comparativement à celui de Senelec, malgré la subvention accordée par l’ASER.
Avec les perspectives d’exploitation du Gaz et du pétrole en 2023, le cout de production qui représente 60% du cout de revient va baisser de 35% selon la feuille de route du MCC, par conséquent le Sénégal pourra produire a moindre cout et même exporter de l’énergie vers les pays limitrophes , comme le fait le Ghana et la Cote d’ivoire.
Il faut signaler que le Ghana a refuse de donner en concession à son secteur électrique comme convenu auparavant avec le MCC, et a préféré garde la structure publique pour mieux gérer son développement.
Le rôle de l’état est d’investir dans un secteur aussi stratégique pour assurer son développement économique et social .
L’harmonisation tarifaire risque de disparaitre et compromettre l’objectif d ‘accès universel, car les consommateurs risquent d’être livres aux prives avec la signature de contrats d’affermage dans la distribution et le commercial e serait la pire forme de privatisation du secteur.
Il faut rappeler que l’électricité , n’est pas comme les télécoms, c’est la clé de voute du développement et l’état a intérêt a garde une main mise dans ce secteur pour sécuriser son développement économique et social. , surtout au moment où on s’achemine vers l’exploitation du gaz et du pétrole.
Sur l’axe 3 toujours quant a la création d ‘un marche sous régional, il existe depuis la création des barrages communs et les lignes d’interconnexion créés dans le cadre du Wapp( West African Power Pool) qui ont permis les ventes d’énergie entre la côte d’ivoire et le Benin et aussi entre le Ghana et le bénin et le Togo. L’avenir c’est de construire des ouvrages en commun compte tenu de la taille de nos états et non de libéraliser tous azimuts , ce qui aura pour conséquence la désorganisation des systèmes électriques avec des prives ( qui sont les mêmes dans la Sous-région, Agreeko, scaling Solar, Global Contour ) qui viennent pour chercher des super profits pour les expatrier dans leur pays .Notre prive National étant encore très faible , ce sont des milliards qui sont exportes pour financer le développement des pays européens et américains. L’exemple de la Sonatel est là pour le prouver à suffisance.
Perspectives
Étant donné que la feuille de route du MCC, fait un phasage en 3 périodes :
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2019 -2025 l’état gagnerait à consolider les filiales, voir leur viabilité en restant publiques et poursuivre l’objectif d’accès universel avec une offre suffisante et à moindre cout
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2025-2030 ouvrir le Capital des filiales a des prives ( l’état restant majoritaire) pour compléter les investissements publics avec l’argent des actions vendues aux prives et assainir les finances par une meilleure gestion concertée avec le prive et les travailleurs et dimunier les pertes d’électricité qui sont encore très importants , presque 12% de l’énergie produite.
Également améliorer la gouvernance , avec une meilleure gestion des ressources humaines et surtout pratiquer le transfert de compétences des anciens (qui partent en masse)et la valorisation des compétences en interne par une compétition saine.
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2030-2035
Comme suggéré par le MCC, l’état peut envisager de dimunier progressivement la subvention tarifaire avec la baisse du cout de revient du fait de l’utilisation du gaz pour la production d’électricité, de même que la poursuite du solaire avec un taux plus important dans le mix et avec l’arrivée de Guina en plus de Manantali et de Felou avec des couts encore plus competitifs.Mais toute cette stratégie devra faire l’objet de suivi évaluation et de réajustements pour atteindre les objectifs fixes.
Au demeurant, l’état n’a pas besoin de transférer les compétences de la Senelec au niveau du Ministère et de la régulation qui auront fort a faire avec l’arrivée du Pétrole et du Gaz, Les taches opérationnelles telles les marches sur les prestataires d’équipements et de produits doivent être gères dans les filiales contrairement à ce que stipule l’article 11 du Code de l’electricite,Aussi pour que les filiales soient viables il faut qu’elles aient pleinement leur autonomie de gestion contrôlée par la Holding sinon, la Holding n’aurait aucun sens.
En ce qui concerne aussi le Plan intégrée d’investissement, Senelec a toujours travaille en étroite collaboration avec le Ministère pour l’élaboration des plans, donc les études, les prévisions doivent se faire dans les filiales car le Ministère doit s’occuper de la stratégie et non de l’opérationnelle comme une société de type prive.
Par conséquent, ce code est a revoir dans beaucoup d’aspect surtout le rôle des Intentionnels et l’ouverture aux prives par le biais des contrats d’affermage dans la distribution et le commercial.
Conclusion
De 2012 a nos jours le secteur de l’électricité a aligne des résultats assez satisfaisants avec des taux de développement très éloquents Par conséquent ces acquis doivent être sauvegardes en consolidant les investissements publics, un meilleur management et éviter une libéralisation tous azimuts qui ne pourrait profiter qu’aux capitalistes et plonger notre pays dans la desorganisation.Evitons le syndrome Européen avec ce modèle qui a plongé des milliers de familles dans la précarité avec le renchérissement du cout de l’électricité dans l’union européenne et inspirons nous de l’exemple du Ghana qui a refusé de donner en concession son secteur électrique malgré les milliards promis par le MCC.
Haby DIENG FALL,Agent a la retraite Senelec