La mobilisation des ressources des diasporas africaines pour le développement économique et social productif est une recommandation phare du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) pour l’autonomisation financière du continent. Le Sénégal, précurseur en la matière, a déjà une expérience réussie avec la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS) qui a mobilisé l’épargne de sa diaspora à travers un réseau international de collecte pour financer le logement social. Cette deuxième partie de l’article montre, preuves à l’appui, comment les diaspora bonds pourraient s’inscrire dans cette continuité stratégique et renforcer cet effort de financement national.
VI. Le paradoxe sénégalais : la LONASE démontre sa capacité de contribution
La première partie de l’article a prouvé l’existence théorique et internationale des diaspora bonds. La particularité sénégalaise est qu’il y a une preuve de la capacité de contribution collective de sa population même dans la précarité relative : la LONASE.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et doivent être mis en perspective avec les transferts de la diaspora :
En 2022, la LONASE a réalisé 266 milliards FCFA de chiffre d’affaires, au-dessus de son objectif, avec comme point essentiel que, toutes ses charges, y compris les 21 milliards FCFA versés à l’État (impôts, redevances et dividendes), sont couvertes par ses propres résultats financiers, sans recours au budget national. Au premier semestre 2025, elle a déclaré un bénéfice de 20,7 milliards FCFA sur un produit de 37,2 milliards FCFA, validant ce modèle de contribution.
Ce mécanisme est d’autant plus intéressant qu’il montre qu’une population majoritairement pauvre accepte de consacrer une partie de ses ressources à un mécanisme de contribution collective dont le retour direct à la collectivité, bien que réel (par le budget de l’État), est indirect et non affecté. L’État encaisse donc une ressource importante sans débourser ses propres deniers.
L’argument massue : la comparaison des ordres de grandeur
L’analyse devient stratégique quand on compare ces chiffres à ceux de la diaspora. En 2023, les envois des Sénégalais de l’extérieur se sont élevés à 3,27 milliards USD, soit environ 1 800 à 2 000 milliards FCFA.
La diaspora pèse donc plus de 7 fois le chiffre d’affaires de la LONASE et près de 10 % du PIB national. Ce parallèle établit un raisonnement implacable : si l’État peut s’appuyer sur une contribution indirecte de 266 milliards FCFA grâce aux jeux de hasard, entièrement autofinancés par les joueurs, le potentiel de mobilisation d’une épargne volontaire, orientée et patriotique auprès d’une diaspora plus aisée est immense. La LONASE n’est pas le problème, elle est la preuve que le système de contribution collective marche au Sénégal. Il s’agit désormais de le reproduire à une échelle bien plus vaste et dans un but ouvertement productif.
VII. Risk management : entre rationalité financière et patriotisme
Comme toute souscription à un appel public à l’épargne, les diaspora bonds présentent des risques qu’il faut identifier et maîtriser pour assurer leur succès. Ces dangers ne sont pour autant pas inéluctables et peuvent être atténués par une conception rigoureuse de l’outil.
Les natures du risque :
– Risque de crédit : risque que l’État émetteur ne rembourse pas ;
– Risque politique et institutionnel : associé à l’instabilité politique ou à des lacunes de gouvernance ;
– Risque de liquidité : difficulté à revendre les titres avant l’échéance ;
– Risque de change : variation des taux de change pouvant impacter la valeur réelle de l’investissement ;
– Risque de réputation : conséquences éthiques pour les investisseurs de la diaspora si les fonds sont mal gérés.
Une gestion anticipative des risques :
Tous les risques ne se valent pas et peuvent être réduits par des dispositifs adaptés :
– Le risque est atténué par la stabilité macroéconomique du Sénégal et les garanties institutionnelles ;
– Le risque peut être pris volontairement comme un pari sur la nation, l’investissement devient engagement citoyen ;
– Le risque peut être compensé par des incitations fiscales, des garanties de première perte par des institutions multilatérales ou une rémunération attractive.
Pour la diaspora, souscrire à ces obligations va au-delà de la logique financière. Cet acte est : un acte de souveraineté économique, pour soutenir directement le développement du pays ; un acte citoyen, en contribuant directement à des projets d’infrastructure à fort impact social ; un outil d’influence, en incitant par leur participation à une plus grande transparence et redevabilité dans la gestion des deniers publics.
La prise de risque devient donc un pari calculé sur l’avenir du pays, où la rationalité économique se mêle à l’engagement patriotique.
VIII. Du flux de consommation à l’épargne investie : transformer la nature de la contribution
Le tableau comparatif suivant synthététise la différence de nature et d’impact entre les deux flux, complétant la distinction déjà établie entre remittances et diaspora bonds dans la première partie.
(voir tableau).
IX. Feuille de route pour une émission crédible : miser sur la confiance pour sortir du modèle consummatoire
La réussite d’une diaspora bond exige de bâtir une confiance plus forte qu’un jeu de hasard. La feuille de route opérationnelle doit donc être à la hauteur des exigences de transparence et de rentabilité.
Engagements phares d’une première émission :
– Transparence totale : mise en place d’une plateforme digitale publique des projets financés, avec suivi en temps réel de l’exécution des travaux et des décaissements, avec une traçabilité bien meilleure que la contribution par la LONASE ;
– Gouvernance intègre : création d’un comité de surveillance indépendant composé de membres de la diaspora, d’experts financiers internationaux et de représentants de la société civile pour contrôler l’utilisation des fonds ;
– Rentabilité intéressante : offre d’un taux d’intérêt fixe et attractif (par exemple, 5-6 %), bien au-dessus des livrets d’épargne des pays d’accueil, pour rémunérer l’épargne longue et le risque pris ;
– Accessibilité facilitée : seuil de souscription faible (à partir de 50 000 FCFA) et parcours d’investissement 100% digitalisé via une application sécurisée, pour rivaliser avec la facilité d’achat d’un ticket de loterie.
X. Conclusion : de la preuve du possible à la concrétisation du transformateur
La première partie de l’article a défini le cadre théorique et les conditions de réussite générales. Le contexte sénégalais, singulier en Afrique de l’Ouest avec la preuve LONASE, constitue un terrain d’expérimentation fertile.
L’enjeu n’est pas de persuader de la capacité à contribuer (la LONASE l’a prouvé) mais de diriger cette capacité vers un outil financier plus structurant, plus rémunérateur pour le souscripteur et plus transformateur pour le pays.
Émettre une diaspora bond réussi, c’est miser sur la maturité économique et la confiance mutuelle entre l’État et ses citoyens, où qu’ils soient. C’est donner à la diaspora une alternative patriotique et lucrative à la consommation. C’est également donner à l’État une source pérenne pour bâtir l’avenir, en s’inspirant de l’exemple de la contribution collective à l’œuvre au Sénégal et des préconisations du NEPAD en matière de mobilisation des ressources diasporiques.
CHERIF SALIF SY, économiste, politiste, juriste (à la retraite)
Enseignant à l’Institut supérieur de finances de Dakar