Avant-propos
Fort d’une expérience académique et de recherche acquise à travers plusieurs post-doctorats réalisés en Israël, en Chine et à Taïwan, j’ai pu constater sur place le rôle stratégique et transformateur des diasporas dans le développement économique et la construction nationale de ces pays. Ces modèles, différents dans leur contexte historique et politique, ont en commun de savoir organiser les compétences, les réseaux et l’épargne de leurs diasporas au service d’objectifs nationaux prioritaires.
C’est à partir de ces constats et des leçons tirées de ces expériences internationales que ce document analyse de manière objective les diaspora bonds comme un outil financier novateur dont le Sénégal pourrait s’inspirer pour renforcer sa résilience économique et consolider les liens avec tous ses citoyens à l’étranger.
Introduction
Dans un environnement économique mondial caractérisé par une volatilité accrue des capitaux, un resserrement des financements extérieurs classiques et une incertitude persistante, le Gouvernement du Sénégal envisage d’utiliser un instrument financier novateur : les diaspora bonds. Ces obligations, testées dans différents contextes économiques et historiques, permettent d’améliorer la contribution des diasporas au développement de leur pays d’origine et de renforcer les liens entre l’État et ses citoyens à l’étranger.
Cette opération s’inscrit dans une démarche globale de renforcement de la résilience économique nationale, de financement de projets structurants prioritaires et de mobilisation de l’épargne de la diaspora sénégalaise autour d’objectifs communs de développement. Ce document vise à exposer les principes, les expériences internationales et les facteurs de succès de ce mécanisme, pour éclairer l’action publique et convaincre les parties prenantes.
Nous retiendrons donc, d’abord, cette différence technique : un APE s’adresse à un public large (investisseurs nationaux et internationaux), une « diaspora bond » vise la diaspora d’un pays. La banque africaine de développement, (BAD) vient compléter la définition. En effet, les diaspora bonds sont des instruments financiers particuliers avec une logique : mobiliser l’épargne de la diaspora en substitution des marchés internationaux classiques.
Cette différence n’est pas qu’académique. Une vrai diaspora bond impliquerait des conditions particulières (taux préférentiels, modalités d’accès simplifiées pour la diaspora, etc.), tandis qu’un APE classique suit les règles standard du marché obligataire.
I. Origine, concept et définition des diaspora bonds
Les diaspora bonds sont des titres de dette souveraine émis à destination des ressortissants d’un pays résidant à l’étranger. Le concept est ancien, mais son emploi systématique date des années 1950, en particulier par Israël et l’Inde. Par exemple, la diaspora grecque a largement financé la guerre d’indépendance grecque (1821-1832), avec des dons de riches marchands grecs d’Europe occidentale et de Russie. Pour l’Italie, la grande émigration italienne a débuté vers 1880 et s’est terminée dans les années 1920-1940, avec environ 13 millions d’Italiens ayant émigré entre 1880 et 1915
À la différence des emprunts souverains classiques, les diaspora bonds reposent sur un double mécanisme : financier et symbolique. Ils permettent aux investisseurs de la diaspora de placer leur argent en toute sécurité, tout en participant au développement économique de leur pays d’origine. Au niveau institutionnel, ils consacrent la place économique et stratégique des diasporas dans les politiques de développement national.
II. Revue des expériences internationales : enseignements et bonnes pratiques
- Israël : un modèle historique et structurant
Israël a commencé à émettre des diaspora bonds en 1951, dans un contexte de construction nationale et de besoins de financement. Le pays a donc mobilisé, sur la période, plus de 32 milliards de dollars, investis dans les infrastructures, l’énergie et l’innovation. Les raisons de ce succès sont : une forte confiance entre l’État et sa diaspora, traduite par une gestion professionnelle et des institutions dédiées ; une transparence dans l’utilisation des fonds collectés ; l’arrimage des émissions à des projets porteurs de sens collectif.
- Inde : réactivité et adaptation en contexte de crise
L’Inde a eu recours à plusieurs reprises aux diaspora bonds pour faire face à des crises économiques ou géopolitiques (1991, 1998, 2000). Ces opérations, « India Development Bonds », « Resurgent India Bonds » et « India Millennium Deposits », ont permis de lever plus de 32 milliards de dollars et de stabiliser la balance des paiements du pays. L’expérience indienne révèle : l’efficacité de cet instrument comme outil de stabilisation macro-financière ; l’importance d’une communication ciblée et d’un réseau bancaire international mobilisé ; la nécessité d’un environnement juridique et financier sécurisé pour renforcer la confiance des souscripteurs.
- Expériences africaines : Nigeria et Éthiopie
Le Nigeria a émis 300 millions de dollars de diaspora bonds en 2017 pour diversifier ses sources de financement et financer des projets d’infrastructures. Le succès de cette opération dépend d’une diaspora forte et d’une action institutionnelle concertée.
L’Éthiopie a émis des obligations pour sa diaspora en 2008 et 2011 pour financer le barrage de la Renaissance, pour un montant d’environ 58 millions de dollars. Si les résultats ont été mitigés en raison de problèmes de confiance et de participation, cette expérience montre le potentiel de mobilisation autour de projets emblématiques.
III. Conditions de succès des diaspora bonds
L’analyse des expériences internationales permet d’identifier plusieurs facteurs clés de réussite :
• Confiance institutionnelle : Elle repose sur la stabilité macroéconomique, la gouvernance et la crédibilité de l’État émetteur.
• Transparence et traçabilité : Une communication claire sur l’utilisation des fonds et des mécanismes de redevabilité robustes sont essentiels.
• Adéquation aux motivations de la diaspora : Les projets financés doivent revêtir une dimension symbolique ou affective forte.
• Stratégie de distribution et d’accessibilité : Il importe de simplifier les processus de souscription et de s’appuyer sur des canaux adaptés (digitaux, bancaires, associatifs).
• Compétitivité financière : Les conditions offertes (taux, durée, liquidité) doivent être attractives au regard des alternatives disponibles.
IV. Potentiel et pertinence pour le Sénégal
Le Sénégal a des atouts pour réussir une émission de diaspora bonds : une diaspora nombreuse, active et historiquement engagée ; un besoin de financement de projets structurants dans les infrastructures, l’énergie, la santé ou l’éducation ; un environnement macroéconomique stable et des institutions financières solides.
Une telle démarche permettrait de : diversifier les sources de financement de la dette publique ; consolider les liens économiques et institutionnels avec la diaspora ; financer des investissements à fort impact socio-économique.
V. Conclusion et perspectives
Les diaspora bonds sont un outil financier éprouvé pour canaliser l’épargne des nationaux à l’étranger vers le développement de leur pays d’origine. Les expériences internationales (Israël, Inde, Nigéria) servent de benchmark pour dégager les facteurs de succès : la confiance institutionnelle, la transparence et l’attractivité financière.
Le Sénégal a les atouts de base pour réussir le lancement d’un tel instrument, en s’appuyant sur la solidité de ses institutions et l’engagement historique de ses ressortissants à l’étranger. Il faut noter que la diaspora sénégalaise, comme toutes les autres, est hétérogène en termes de profils socio-économiques et de capacités financières. Une stratégie de mobilisation réussie devra en tenir compte, en offrant des formes d’engagement inclusives et différenciées. L’idée est de donner à chacun, selon ses moyens, la possibilité de participer à l’effort national de développement, que ce soit à travers des obligations classiques ou des dispositifs adaptés aux micro-investissements.
Une telle démarche, respectueuse de cette diversité, permettra de traduire la volonté de participation en engagement financier réel et durable. En s’inspirant des bonnes pratiques et en adaptant le dispositif à ses diasporas, le Sénégal peut faire de cet outil un levier additionnel de sa stratégie de financement et de consolidation des liens avec tous ses citoyens, où qu’ils soient.
Il faut enfin, différencier les diaspora bonds des remittances, car bien que tous deux fassent appel aux ressources de la diaspora, leur nature, leur destination et leur impact économique sont différents. Les remittances sont des flux privés à caractère social, orientés vers la consommation. Les diaspora bonds sont des flux publics financiers vers l’investissement structurant. Ils sont donc complémentaires.
Les remittances stabilisent le tissu social et la consommation des ménages, les diaspora bonds financent les grands projets d’infrastructure qui construiront le cadre de croissance de long terme du pays. Un programme de diaspora bonds réussi ne cherche pas à cannibaliser les transferts d’argent familiaux, mais à offrir à ceux qui le peuvent une option d’investissement supplémentaire, plus formelle et axée sur le développement national.
CHERIF SALIF SY. Dakar, 17 Septembre 2025