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Par Madou KANE

À Louxor, le jour s’éveille comme un hymne.
Le Nil, ruban d’éternité, relie les deux rives : celle des morts et celle des vivants, celle du crépuscule et celle de la renaissance.
Après avoir contemplé la montagne des rois à l’ouest, nous prenons la route de l’est, vers Karnak, le cœur battant du culte d’Amon-Rê, maître de Wasset, que les Grecs nommèrent Thèbes.

Mahmoud, notre chauffeur, apparaît ponctuel, le regard vif et le geste précis.
Avec cette élégance naturelle des Égyptiens du Sud, il nous salue d’un “Ahlan wa sahlan” chaleureux avant de démarrer sa voiture.
Nous traversons le pont Al Kebach , ce lien de pierre jeté entre deux mondes. La lumière matinale se reflète sur les eaux calmes du fleuve.
L’air est frais, chargé d’une brume légère, comme si le Nil lui-même retenait le souffle du jour à venir.

Devant nous s’annonce Karnak, le plus vaste complexe religieux jamais édifié par la main de l’homme.
Un monde à lui seul, dédié à l’invisible, à ce dieu caché qu’est Amon.
À mesure que nous approchons, l’espace semble se dilater : tout ici est grandeur, démesure, sacralité.

Je frémis à l’idée de revoir ce lieu que j’avais étudié, jadis, à l’Université Cheikh Anta Diop, dans le cadre de mes recherches sur la puissance du clergé d’Amon.
Je me souviens de ces lectures passionnées où j’avais exploré la montée d’un ordre religieux si puissant qu’il rivalisait parfois avec les pharaons eux-mêmes.
Ici, la théocratie a pris forme dans la pierre.
Et c’est avec cette conscience d’historien que je foule le sol de Karnak, à la fois pèlerin et chercheur, entre émotion et recueillement.

L’allée des sphinx à tête de bélier, symboles de protection divine, ouvre la marche.
Ils encadrent l’entrée du temple comme une armée silencieuse, gardienne du mystère.
Sous leurs visages sereins, je lis la fidélité d’un peuple à ses dieux.
Chaque pas résonne comme une offrande.

Devant le premier pylône, massif et hiératique, je me sens minuscule.
Les colonnes géantes de la salle hypostyle, dressées comme une forêt de pierre, donnent à l’ensemble une puissance cosmique.
La lumière du matin s’infiltre entre elles, dessinant des faisceaux d’or sur les hiéroglyphes.
Je lève les yeux : ces symboles, ces figures, ces scènes de culte sont les pages d’un livre sacré dont la lecture exige silence et respect.

Mes compagnons, Moussa Diop et Codou Mbaye, immortalisent la scène, saisis eux aussi par la majesté du lieu.
Leurs regards émerveillés traduisent cette émotion universelle qu’éveille l’Égypte : celle d’un retour aux origines, d’une communion avec la pensée du monde ancien.

Je me souviens alors de Cheikh Anta Diop, figure tutélaire de notre conscience africaine, qui fit triompher la vérité au colloque du Caire comme Ramsès triompha à Qadesh.
C’est à lui que je dois, en partie, ma fascination pour ce lieu : comprendre Karnak, c’est comprendre comment les Africains d’hier avaient su unir science, foi et pouvoir dans une même vision du cosmos.

Je marche lentement entre les obélisques, les cours sacrées, les lacs rituels et les sanctuaires intérieurs.
Tout ici semble respirer la présence du divin.
Les prêtres d’Amon y régnaient jadis avec faste, guidant les processions royales, célébrant la puissance solaire du pharaon, lui-même fils d’Amon.
Et je songe, en observant ces vestiges, à la fragilité de toute grandeur humaine : ce temple, jadis vibrant de chants révèle une galerie de pierre, érodé mais éternel.

Le vent se lève, doux et chaud.
Il semble chuchoter dans les fissures des murs, comme un écho des hymnes anciens.
Je ferme les yeux un instant et j’entends presque les psalmodies des prêtres, le pas lourd des processions, le cliquetis des encensoirs.

Karnak traverse le temps et nous rappelle que la grandeur véritable se transforme en lumière .
Madou KANE
Le Caire le 27 octobre 2025