AMADOU BA, NOUVEAU PREMIER MINISTRE DU SÉNÉGAL : Une nomination qui fait sens
https://www.enqueteplus.com Parrainage citoyen, suppression du poste de Premier ministre, etc., le président de la République a sorti beaucoup de tours de son chapeau. En nommant, samedi, son ancien ministre de l’Économie et des Finances à la primature, Macky Sall veut revenir aux fondamentaux, en réglant la question de la demande sociale. Cette nomination ne règle, également, pas la question qui taraude tous les esprits : va-t-il se présenter à une troisième candidature en 2024 ?
« Le président de la République, Macky Sall, m’a appelé ce matin et a décidé de me nommer Premier ministre. Je devrais être à ses côtés pour l’aider dans la mise en œuvre de sa vision déclinée dans le Plan Sénégal émergent ». Par ces mots, Amadou Ba annonce, samedi 17 septembre 2022, son retour en grâce dans l’appareil gouvernemental, après l’avoir quitté en novembre 2020. Le député élu lors des élections législatives du 31 juillet quitte ainsi l’hémicycle et devient le Premier ministre tant attendu, depuis l’annonce du retour du poste supprimé par le chef de l’État à la veille de sa réélection en février 2019.
Comme un symbole de la composition de ce nouveau gouvernement, la nomination d’Amadou Ba marque le retour de beaucoup de combattants des premières heures du président de la République. Ceci, pour diriger un gouvernement de ‘’combat’’ et de ‘’défis’’, des propres mots du nouveau patron de la primature. À 17 mois de l’élection présidentielle de 2024, ce choix vient encore brouiller les pistes sur une éventuelle troisième candidature de Macky Sall.
Après Abdoul Mbaye (2012-2013), Aminata Touré (2013-2014) et Mouhammad Boun Abdallah Dionne (2014-2019), le ci-devant député devient le 4e Premier ministre sous la présidence de Macky Sall. À 61 ans, l’ancien ministre des Affaires étrangères définit les axes prioritaires de sa mission à travers « l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages, la stabilité des prix, la sécurité, le logement, l’assainissement, la formation professionnelle, l’entrepreneuriat et l’emploi ». Une politique sociale à l’opposé du bilan infrastructurel que les hommes du président Macky Sall ont brandi lors des campagnes électorales des derniers scrutins pendant lesquels la majorité confortable de la coalition au pouvoir a fondu comme du beurre au soleil.
Un clin d’œil au passé
Dans un tel contexte, redresser la politique du gouvernement devient une priorité. Et le chef de l’État revient à ce qui faisait sa force, entre 2012 et 2019, moments durant lesquels il n’a perdu aucune élection. Et Amadou Ba, parmi tant d’autres grands noms de l’Alliance pour la République, y a joué un grand rôle. La tête de liste départementale de la coalition Benno Bokk Yaakaar à Dakar, lors des élections législatives 2017, a réussi à gagner là où Abdoulaye Diouf Sarr a échoué en 2022.
Parachuté ministre de l’Économie et des Finances en 2013, poste qu’il gardera plus cinq ans et demi, Amadou Ba est un fonctionnaire chevronné des impôts et domaines. C’est en 1980 qu’il obtient son Baccalauréat série G2, option techniques de gestion. Huit ans plus tard, il décroche une Maîtrise en sciences économiques, option gestion des entreprises, et un Brevet de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), en section impôts et domaines.
Démarre alors une carrière au sein de l’Administration en 1989 : inspecteur stagiaire, inspecteur chef du premier secteur de taxe sur la valeur ajoutée à la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) à Dakar, chef d’inspection et délégué commissaire contrôleur des assurances à la Direction des Assurances, de 1992 à 1994, chef du Centre des grandes entreprises de la Direction des Impôts (2002 – 2004), directeur des Impôts (2004 -2005), directeur général des Impôts et des Domaines en novembre 2006.
Son parcours dans le gouvernement s’était arrêté en 2020, débarqué du poste de ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur.
Le retour du natif de Grand Dakar au moment où le pouvoir est sur une pente descendante fait sens. En effet, sur le plan électoral, sa destitution a foulé au pied tout le travail qu’il avait entamé, dans la capitale. Ainsi, c’est presqu’en tant que figurant qu’Amadou Ba a assisté à la dégringolade du régime à Dakar et, particulièrement, dans la commune des Parcelles-Assainies, son fief politique.
Mais, surtout, c’est une nomination qui va permettre au Chef de l’Etat de ne pas perdre de temps et d’aller vite pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé, les mois qu’il lui reste à la tête de l’Etat. En effet, Amadou Ba est un haut commis de l’Etat rompu aux tâches administratives, qui connait très bien les rouages de l’Etat. Le nouveau gouvernement devra être au taquet sur la demande sociale. Car, à n’en pas douter, elle sera un redoutable adversaire.
Mimi Touré : ‘’Le plan de Macky Sall, ce n’était pas Amadou Ba’’
Sevré du poste stratégique de ministre des Finances et du Budget, le départ de celui qui était assimilé à l’argentier de l’État avait été vécu comme l’élimination d’un n°2 par le président de la République. Le Président s’était octroyé tous les pouvoirs, en supprimant le poste de Premier ministre. À l’image d’Amadou Ba, d’autres profils susceptibles de le remplacer (Aly Ngouille Ndiaye, Ministre de l’Intérieur, Makhtar Cissé, Ministre du Pétrole et des Énergies, etc.) ont été écartés des girons du pouvoir.
A l’épreuve des faits, cela s’est avéré être une erreur stratégique du Président Macky Sall. Car, tout régime a besoin de se reposer sur des piliers. Et, jusqu’ici, Amadou Ba n’a jamais posé un acte, ni prononcé une phrase qui laisseraient penser qu’il lorgne le fauteuil du Chef de l’Etat.
Ainsi, la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale, avec la percée historique de l’opposition, a amené le président de la République à revoir ses plans. C’est l’avis d’Aminata Touré, nouvelle députée de la coalition au pouvoir, en froid avec le chef de l’État, depuis que sa candidature à la tête de l’Assemblée nationale n’a pas été retenue. ‘’Je pense que le plan de Macky Sall, ce n’était pas Amadou Ba. Car, il y avait des bisbilles entre eux. (…) Il n’avait plus le choix. Tout cela montre qu’il est en fin de règne’’, retient l’ancienne Première ministre, interrogé sur RFI.
Alors que Macky Sall n’a toujours pas annoncé son intention de se présenter en 2024, face aux diverses interprétations de la régularité ou pas de sa candidature, le retour du poste de Premier ministre varie les pistes. Est-ce une volonté de montrer qu’il est prêt à quitter le pouvoir en préparant sa succession ? En même temps, d’autres choix dans la composition du gouvernement d’Amadou Ba amènent à se poser quelques questions.
En effet, le retour du constitutionnaliste Ismaïla Madior Fall est particulièrement intéressant. Auteur des changements sur la Constitution de 2016 concernant le cumul de mandats, le professeur titulaire de droit public et de science politique à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar est à nouveau ministre de la Justice, garde des Sceaux, alors que lui-même reste très évasif à chaque fois qu’il est interrogé sur la possibilité d’un troisième mandat de Macky Sall. Pourtant, avant son départ du gouvernement en 2019, il s’était montré clair, en écartant toute possibilité de faire plus de deux mandats consécutifs.
Un choix pour brouiller les pistes ?
Il y a encore le maintien du ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, dont le départ a, plusieurs fois, été exigé par l’opposition et l’arrivée de jeunes ‘’loups’’ (Moussa Bocar Thiam, Mame Mbaye Niang, Abdou Karim Fofana, etc.) enclins à faire face à la fougue des jeunes opposants. Autant de points qu’Amadou Ba devra gérer sans oublier l’impératif de regagner le cœur des Sénégalais.
Du beau travail à venir pour le chargé d’enseignements à l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), section impôts et domaines depuis 1992.
Lamine Diouf